dimanche 7 juin 2009

Traces

Évidemment elle avait aussi ses problèmes. De loin, j'aurais pu croire que sa vie coulait de source, qu'elle était aussi fixe que régulière et que ce genre de questions, elle ne se les posait pas. Mais non. Elle tremblait par exemple, chaque mois, de l'échéance des impôts à payer (ça grève un budget). Sa mère, aussi, était malade depuis longtemps, une dépression qui la clouait au lit les trois-quarts du jour, qui rendait le futur incertain, qui faisait que chaque coup de téléphone pouvait annoncer une catastrophe, une fin de vie volontaire, des obsèques à préparer et des gens à prévenir. La politique, pareil, ça la passionnait, les Français sont des cons, vraiment, elle le répétait à l'envi, un jour ils votent à gauche, un jour ils votent à droite, impossible de tenir des réformes et de faire avancer les choses – quelquefois elle faisait passer l'air entre ses lèvres pour montrer toute l'étendue d'une telle absurdité.

Mais son véritable souci actuel, le centre majeur et névralgique de son quotidien, c'était la recherche de l'âme soeur. Pas un partenaire rapide, pas de ceux qui baisent et qui claquent la porte, elle voulait quelqu'un qui reste et qui prend les choses en charge. Quelqu'un qui s'occuperait d'elle, quelqu'un qui donnerait un sens à sa vie, quelqu'un pour qui se lever le matin, quelqu'un avec qui faire des enfants.

C'est qu'à 35 ans, elle voyait le temps qui passe, elle disait, les expériences faites et les plus à faire, elle avait profité, pour sûr, elle était partie faire de la plongée aux Maldives, elle n'avait pas hésité à jongler de mec en mec, comme ça, sans conséquence, elle en avait vu du pays et fait le tour du monde avec son cul. Car elle en mesurait les limites aujourd'hui, elle se sentait seule, souvent, elle voyait bien comment l'univers, autour d'elle, avançait, et comment elle restait sur le bas-côté de la route. Elle voyait les enfants grandir lors des dîners entre amis et des week-end en famille, elle voyait les engagements se prendre, elle regardait avec langueur la décoration impeccable de l'appartement que son salaire lui avait permis d'acquérir. Elle n'avait pas peur d'admettre le rythme de l'horloge biologique, elle se disait même victime du syndrome du pavillon de banlieue (ah ah).

C'est que l'obsession grandissait, la quête devenait chasse, le quotidien tout entier se tournait vers la réponse à cette seule question : vais-je finir ma vie seule ? Elle tournait ses yeux comme un caméléon, acceptait les rendez-vous, notait les déceptions, faisait des compte-rendus aux uns et aux autres, devenait de moins en moins légère, de plus en plus pressée.

Et puis il voulu d'elle, ils s'installèrent, se marièrent dans la foulée, se reproduisirent plutôt facilement pour leur âge, partirent en vacances et firent des projets.

Elle oublia l'échéance, se reposa enfin, sortit de la route un soir de verglas.