dimanche 28 juin 2009

Sh.

Il avait un jogging rose. Un ensemble de jogging.

Souvent on pouvait dire aussi survêtement mais c'était plutôt un mot de mères ça : « n'oublie pas ton survêtement , aujourd'hui tu as sport ». On ne disait pas « sport » on disait « gym » et on connaissait très bien son emploi du temps. Pas de cartables, des sacs à dos, pas de cahier de texte des agendas, pas de tennis des baskets, pas de boums des soirées.

Les autres, ils étaient trop cons ou trop pauvres ou trop des fifissamoman pour comprendre ce qui faisait bien, et ce qui faisait qu'on pouvait rentrer dans les cercles, à la récréations, à la pause et qui faisait discuter et rigoler et faisait dire ah ah mais tu l'as vu celui-là avec son jogging rose trop ridicule il ne fait rien en plus, il est dispensé mais pourquoi est-ce qu'il vient. C'était toute la question : mais pourquoi est-ce qu'il vient ?

A partir de quand faire pleurer dans les chaumières, c'est toute la question, surtout quand l'exercice est court et qu'il faut faire comprendre que l'histoire est vraie et qu'on a beau ne pas être bien vieille, on en a quand même des souvenirs, et du genre assez durs. Pourquoi d'ailleurs parler de dur d'ailleurs quand le fait de penser à une chose vous donne envie de pleurer, et faire couler les larmes, pas violemment non plus, pas de violence non plus depuis tout ce temps car la chose a été digérée à ce qu'on croyait, des larmes alors un peu grosses, molles et résignées. On devrait parler de souvenir mouillé. Et pas de résignation non plus parce qu'on se demande bien c'est quoi se résigner de l'idée qu'on puisse crever à 13 ans.

Le mot a été lancé, tu vois, la mort, ça y est, on s'en doute bien que ton petit copain, ou je ne sais pas qui dont tu parles, là, et dont la vie est vraie, va finir par y passer. En fait, dans toutes tes histoires il y a toujours quelqu'un qui finit par y passer, et tu crois que ça suffit à faire un ressort dramatique. Il y en a qui sont de vrais écrivains et qui savent raconter des histoires et dont les choses sont en place et le début et la fin, et la chute et les rebondissement, trac trac kodak, pas besoin de gigoter dans tous les sens et de hocher la tête pour faire croire qu'il y a là-dessous du autre chose qu'un divertissement juvénile en attente de mieux.

C'est lui qui m'avait appris à me gratter les oreilles avec un trombone. Il suffit de dérouler le trombone jusqu'au premier virage et ça suffit en général pour une oreille standard. Et ça résout pas mal de soucis aussi, une fois qu'on a compris on comprend bien par exemple que le coton-tige n'est qu'un pis-aller du besoin de se gratter. Se gratter l'oreille en dedans avec un trombone ça me fait un bien fou, me disait-il. Au niveau de la véracité, je ne sais plus vraiment si c'était ce genre d'expression qu'il employait : « ça me fait un bien fou ». Il devait plutôt prononcer les mots de « j'adore », ou « essaye pour voir », ou « il suffit de faire un peu attention et de ne pas enfoncer trop, c'est pour cela que le premier virage suffit ». Il avait une voix grave mais une voix de fille, toujours posée, un peu lente, il était grassouillet, pas gros, mou, empâté, il avait un coeur de merde et il se grattait les oreilles avec un trombone, il mettait un jogging rose et il s'asseyait sur les rambardes et il faisait bouger ses pieds dans l'air à baskets scratch.

Il était tout jaune dans son lit et après j'ai dû apprendre à vivre sans.