jeudi 25 juin 2009

Retour sur investissement

Il s'appelle Pascal Chantrieux. Je le sais parce qu'il le dit tout fort dans son téléphone et que l'arrière de son crâne est pratiquement collé au mien. Je le sais parce que je me retourne et parce que je suis étonné de la disposition de ces fauteuils collés eux aussi à une structure en fer elle-même collée sur un revêtement caoutchouteux en nid d'abeille, au milieu duquel parfois colle un reste de chewing-gum aplati et grisé. Une fois sur deux, environ. L'autre fois c'est un papier qui traîne. Certainement inutile.

Sa voix frôle les aigus et retombe. Sa voix au départ parle de choses intimes. Elle doit certainement parler à une femme parce qu'il lui dit de lui dire tout du net qu'elle recherche un homme jeune, actif et vigoureux. Il pouffe à la fin des trois mots, certainement parce qu'il pense à une bonne grosse bite sans soif.

Il termine son rire entre ses dents, le bruit du vent qui passe dans la salive. Tchou tchou.

Il lui dit qu'il s'excuse, car oui, longtemps qu'il n'a pas donné de nouvelles, et il s'excuse aussi de l'appeler dans le bus (certainement destiné aussi à excuser en sous-texte l'imposition anonyme uniforme du contenu des décibels de sa conversation), mais il explique que c'est parce que le soir il est avec elle, que la relation est toute neuve, et que ce n'est pas facile parce que le soir il préfère en profiter déjà que certains soirs elle est avec ses enfants et que ça non plus, ce n'est pas facile. Oui, ce n'est pas facile (encore il répète).

Un temps, elle parle à l'autre bout. Ça s'entend comme une petite souris qui crierait dans une boîte à sucre.

Oui, ça va ça va, on commence à s'apprivoiser (il pouffe encore un peu, mais de façon plus silencieuse), mais c'est encore jeune, donc bon.

Donc bon clôture : on passe à autre chose. Il revient aussi de Leroy Merlin, dit-il, et non il n'en a pas trouvé (de quoi, inconnu, exigence d'imagination, poser des hypothèses, calculer des probabilités). Il raccroche, oui, oui d'accord, à très bientôt, ciao ciao. Encore un peu de pouffe, ça passe maintenant par le nez.

Sa voix se baisse à mesure qu'il bascule son front vers l'avant. Oui, je veux la garder pour moi, dit-il à sa cravate.