jeudi 11 juin 2009

Subhuman (3)

Il s'appelle Renaud.

A l'époque de sa naissance, ses parents pensaient sans y penser que cela ne serait pas grave de donner à leur nouveau-né le nom d'un chanteur communiste et rebelle. Inconnu il était, intimiste. Au pire, un initié aurait compris l'hommage et l'aurait félicité, le goût des parents. Manque de pot pour Renaud, le chanteur homonyme a duré, traversé les époques, comme on dit, repenti son alcoolisme honteux, engouffré la ringardise. Son enfance, il l'a passée dans des " c'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme, tatatin ". Il vit aujourd'hui dans les " arrêter la clope avant qu'elle n'arrête ma vie ".

Mais il a l'habitude, Renaud, on pourrait même dire que ça lui plaît, quand le témoignage parental de ferveur musicale est compris, saisi sur le champ d'une première rencontre. Il chantonne, il acquiesce, il remercie tacitement ses parents de lui avoir donné un sujet de conversation si aisé et automatique, une manière si simple et finalement naturelle de briser la glace. Il le fait d'ailleurs souvent, en vrai, le dimanche, autour des côtelettes, de la purée, de l'opéra et de la Suze, quand il rend visite à sa mère. Séquence émotion, l'idée venue du père, le baptême républicain, Madame Thatcher (c'est la meilleure), devenus définitivement nostalgiques, tristes à pleurer. Car le père est mort, emporté par un cancer des poumons (le crabe a eu raison de lui). En vérité, le diagnostic fut relativement optimiste : de grosses cellules concentrées sur le lobe gauche, une opération, une vie longue et vieille à s'économiser sur un seul organe, l'espoir d'une greffe, peut-être, ni vu ni connu ; un mauvais souvenir, en somme, qu'on raconte avant de détendre l'atmosphère, ensuite, avec un " marche à l'ombre ". Un mauvais souvenir, oui, si un chirurgien n'avait pas fait l'ablation du poumon droit et terminé toute l'affaire au crématorium de Sucy-en-Brie.

Néanmoins, Renaud est un être jovial. Comme aujourd'hui d'ailleurs. Bourré comme un coing, il fait tressauter son polo Lacoste, son jean délavé et ses mocassins cirés sur du Madonna remixé à la sauce bonne soirée qui se respecte. Une soirée de collègues, car Renaud est prof d'éducation physique dans le lycée Albert Camus d'une banlieue sud. Une soirée de collègues, car c'est une fin d'année avec ses tempéraments qui s'échauffent et ses bouteilles qui se vident. D'ailleurs, Renaud en aurait bien profité pour sauter Virginie (qu'on appelle Gigi), la documentaliste, si son meilleur ami Thomas s'en occupait pas déjà, depuis deux semaines environ. L'idylle est jeune, les effusions régulières, la passion débordante. Gigi et Thomas remercient souvent Renaud, qui sait rester toujours tranquille et peinard, car c'est grâce à lui qu'ils se sont rencontrés.


- Et merci Renaud, t'es un chou, dit Gigi sur la piste de danse.

- Un chou, ouais, répond Renaud, un gros chou à la crème qui va t'exploser le cul, salope.

Mais Gigi n'entend rien, parce que ça va faire quatre fois que la music makes the people come together. Yeah.