mardi 23 novembre 2010

Cadre

C'est au terme d'un énième métamorphose que je pense avoir compris le truc, les rideaux fermés, la subsistance en roue libre : il n'y aura pas de fin. Ce n'est même pas que l'idée rassure, non, ce n'est pas cela, c'est juste une idée qui colle, le carré qui rentre dans le bon trou et le rond pareil. Ça glisse, c'est fait pour, il n'y a pas grand-chose d'autre à chercher, et le doute te mettra en joue.

Poser une question, c'est déjà désobéir, qu'ils disaient, les hommes taillés pour écraser de leurs bottes tout le reste. Les brindilles sur le bord de la route, les feuilles mortes, le frôlement du balai sur le goudron, le danger, l'idée folle d'un pistolet tiré. De celles qui touchent du doigt l'antiphrase, car il n'y a rien à réfléchir, juste des réflexes à pousser l'un vers l'autre, attendre que l'électricité s'occupe de tout. Oui, les muscles prendront le relai, l'automatisme automatique des articulations huilées. A sa place, tout rentrera.

C'est au terme d'un terme qui n'en était pas un que j'ai cru le comprendre, l'espèce de hic essentiel, le terme qui déroule tous les autres comme d'autres construisent des murs brique après brique, mortier ciment jointure. Le mouvement : ne jamais s'arrêter si tu tombes tu meurs, encore avancer et marteler la troupe, indifférence larvée des scories – comme une évidence, ce qui ne se remarque pas s'énonce clairement.

A la fin de ces rêves encerclés en de petits ballots de paille alignés l'un vers l'autre dans un équilibre savant, disposés pour que jamais l'édifice ne s'écroule (au pire, on sentira rapidement l'odeur du brûlé demain), j'ai compris, il me semble, quel était le cœur de l'argument : ne deviens pas humain.  

lundi 22 novembre 2010

Bleu horizon

Ça leur donne une occupation, un but, une régularité. Un rythme et des habitudes, d'autres font bien pousser des plantes en pot. Ils disent : « et dire qu'il m'arrivait là il y a encore peu de temps », avec le geste de se cisailler la poitrine, et même un peu en dessous. Certaines admettent que ça a recadré leur vie, que cela leur a offert quelque-chose qui manquait, comblé un vide, les ritournelles. Une véritable école de la maturité, des responsabilités, ne plus se dire seul, plus jamais, une sorte de malédiction, une merde qui ne cesserait jamais de coller, et même qu'on pourrait en remplir des bidons et se fourrer la tête dedans, pour voir si on est encore capable d'y faire des bulles.

A leurs pieds des morceaux de chair, des lambeaux liquides, mous, flottant dans un bain de lait, de sperme et de sang, tirés à demeure, difficilement. Un peu comme une mauvaise blague élimée mais à laquelle tout le monde souhaite encore rire, par politesse.

Le clair de lune pour unique réverbère, l'espoir en moins.  

mercredi 3 novembre 2010

Champignon

Ce n'est pas dans le cœur, que ça se passe, s'il fallait le situer quelque-part, ça serait plutôt dans la peau du crâne, à l'intérieur, quelque-chose qui pousse, qui n'a pas suffisamment de place, qui serait assise au milieu d'une grande pièce, la nuque pliée, douloureuse, acide, et pleine de regards tout autour, du haut, rivetés, comme des néons mal réglés, des mouches à l'agonie sur le dos, qui tournent, tentent de se débattre et n'ont certainement pas une quelconque conscience de l'absurde et du pilote automatique qui se met en marche, la bouche qui se ferme, les yeux clos, cousus, collés. L'écho étouffé des cadavres dans lesquels on s'enfonce, les deux pieds devant, les deux pieds dedans, la chair est trop molle, liquide, de plusieurs jours et de plusieurs mois de décomposition. On s'y essuie le dessous des chaussures, on le souligne, râpé, cloué, crocheté.

Trop en avaler à se déchirer la bouche, la mâchoire qui crie à l'aide, poussée, frottée, écartelée : sectionner en de nombreux petits bouts et en de nombreux endroits, faire en sorte que tout explose dès qu'on la tire même de nulle part, que tout s'effondre et qu'on en parle plus. Déblayé, rangé, casé, et il y en a beaucoup (un une plusieurs) à juger, estimer, soupeser, classer, avoir la bonne réponse à la bonne place, toujours au singulier, les tiroirs tirés, glissés, définis, le mot qu'il faut, le moment t, l'engrenage.

L'huile, en quelque sorte, celle qui fait coulisser les gonds des portes d'armoires.

dimanche 17 octobre 2010

Bis

Tous les soirs, les choucas et les corbeaux se rejoignent pour aller dormir dans les arbres du bois. Ils arrivent par différents groupes de directions différentes, des plus denses des plus petits. Puis ils s'amassent en une grosse nuée – quelques oiseaux se battent parfois en périphérie, puis passent à autre chose, suivent le mouvement. Une nuée qui enfle, rétrécit, se dilate, et tourne sans cesse, comme si elle glissait sur les rebords d'un entonnoir, toujours un peu plus bas mais pas tout de suite. La descente dans l'arbre n'est pas directe, ils tournent, s'énervent, croassent, on dirait qu'ils se font des signes, se disent des choses, prêts pour l'atterrissage désarmement des toboggans.

D'en bas, ils ont l'air bien cons, on se demande : mais pourquoi tant de simagrées, et pourquoi ne vont-ils pas se coucher, c'est qu'il commence à faire froid et il y a encore le dîner à préparer. C'est que nous sommes si différents, si autres, pas comme ça, pas à tournoyer pendant de longues et froides minutes pour faire quelque chose qui aurait pu se régler en quelques secondes – voilà, posez-vous et qu'on n'en parle plus. C'est qu'ils le font tous les soirs en plus, ils ne s'en souviennent pas, cervelle de piaf elle a bien une raison cette expression, nous on aurait déjà su quelle trajectoire était la meilleure, la meilleure façon de ne pas se faire remarquer et comment éviter les prédateurs, nous on aurait même pu construire un pont ; elle sert à ça notre grosse tête. Non, nous ne sommes pas comme ça, nous sommes autres, jamais les mêmes causes ne produisent les mêmes effets, jamais de déjà vu, toujours la marche inéluctable vers un progrès sans fin, du neuf du nouveau du renouveau, toujours apprendre de ses erreurs et en faire des dictons. La bonne blague.

Heureusement un peu plus tard les ailes du dernier retardataire feuleront dans le silence.

lundi 20 septembre 2010

Chauffe, Marcel.

C'est qu'on n'en peut plus, vous savez, de toutes vos amitiés factices, vos hystéries surjouées, vos petites formules à la file, vos mains qui se serrent, vos haines mercantiles, vos dents en plastique, vos paupières puant l'ennui et vos regards l'un vers l'autre, toujours, omniprésents, sous surveillance étroite du risque de déraper. Vos mèches bien peignées, vos ne pas en faire trop, vos casses, vos tests, vos moucherons à merde collés sur vos gencives. Il y en a tellement des comme vous, l'un après l'autre, sans cesse renouvelés, si ce n'est pas toi c'est donc ton frère, à la chaîne, en cadence infernale, tellement de bruit, tellement de heurts, on n'en peut plus de vos malheurs tellement uniques, si dispensables, vos feintes, vos petits salamalecs, vos yeux qui clignent, vos rictus malades, toutes ces choses à raconter, les clous qui se chassent, l'un, l'autre, et se remplacent. L'un et l'autre, ici, là, et ailleurs, partout, encerclant, tapant des pieds, vous mortifiant, pardon madame merci madame, vos gémissements, vos bonnes, blagues, vos réflexes, vos castes, vos coups joués d'avance et vos nuances ternies. Tout comme vos bavardages, vos bouches toujours ouvertes, sèches, et les échos qui remplissent les silences trop courts de vos prises de respiration.  

jeudi 26 août 2010

Viaduc

Ça sentait le catéchisme, et la soupe poireaux-pommes-de-terre froide, l'air un peu perdus avec leurs cartes de randonnée et leurs sandales orthopédiques. Comme s'ils se devaient de parler, conjurer le sort d'une atmosphère trop lourde, trop vieille, sentant la charogne et les conversations bon teint. Comme pour oublier le pain mou, les gaz du lendemain, l'haleine à l'ammoniaque, les cheveux secs, blancs, qui s'arrachent par poignées. Ils piapiataient dans tous les sens, faisaient semblant de rire, la main devant la bouche, les yeux grands ouverts, pour de faux, quand l'un des leurs tentait une sortie :

- On s'est mariés pour le meilleur et pour le pire, hein, pas vrai ?
- Oui, et surtout pour le pire.

Assis en rond, ou face à face, le cliquetis des couverts insupportable à entendre seul, ils en rajoutaient donc des louches à mesure que les plats en sauce faisaient leur apparition.

- Oh, et elle a eu ses enfants tard, à 24 ans...

Las depuis leur naissance à apprendre par cœur la position d'une fourchette à poisson, les choses qu'ils ne diront jamais, les nez repoudrés, les serviettes repliées les mains derrière le dos. Toutes leurs récitations honteuses, les doigts dans l'encrier pris sur le fil accroché à la patte d'une mouche. Des cernes tombantes, sur leurs joues, comme tout un corps en fuite, coulant, s'excusant, presque, d'avoir un jour crié trop fort – en pensée.

Au regard traînant de l'une d'elles sur le papillon posé sur la table, j'en déduisais qu'elle l'enviait, lui, de savoir sa mort pour le lendemain.

mercredi 4 août 2010

Domestication

Des fois, au fond du crâne, derrière, ce n'est pas vraiment un rêve mais plutôt une sorte de vision, je prends de l'élan près de la porte, cours quelques mètres, m'appuie sur la chaise devant la fenêtre et m'envole. Évidemment, même s'il m'arrive de regarder les oiseaux par en-dessous et d'essayer d'analyser la mécanique du mouvement, je ne vole pas, au mieux je rebondis quelques secondes et m'écrase bien vite, en bas, pas même le temps certainement d'agiter les jambes. Parfois je passe aussi en revue tous les étages connus, du plus bas au plus haut, et j'imagine la chute, les quelques instants supplémentaires de répit, penser à ce qu'on pense à ce moment-là, si on pense quelque-chose à part qu'on va bien se l'exploser, la gueule.

Tout ce qui dérive, et flotte, crâne mollement dans des échauffourées, il y a des gens aussi, ils existent, je le sais, qui réfléchissent des heures et des jours à la fermeté de leur poignée de main, qui font des exercices pratiques, des séminaires de mise en condition, avec des petits stylos faits pour l'occasion posés sur des chaises, et des papiers à en-tête.

Et c'est là que je referme la fenêtre, pour plus de précaution. 

vendredi 16 juillet 2010

Sans queue ni tête

Ce sont des cliquetis de vases, de fourchettes et de sucs gastriques. Des bols alimentaires en dissolution, des miettes surfant dans des tubes, des litres et des litres pour faire passer, éviter que ça remonte façon fourmis en expédition (« Salut ! » « Salut ! »). Le clinquant des paupières baissées pour l'occasion, et les bras levés de la victoire. L'érotisme, c'est de monter ces escaliers le début de ta faute, à te retrouver avec lui derrière toi sans personne. Tu n'aimes pas depuis qu'on te suive sur des marches et te demandes aussi pourquoi les portes de sortie sont en hauteur.

Vous parlez de quoi ? Tu ne t'en souviens pas ; la tête te grésille et tu t'interroges encore, à savoir pourquoi tu n'as pas hurlé, ou cassé un truc, fait du bruit n'importe quoi comme improviser un projectile de manière à ne pas, certes, voir ta caution remboursée, mais empêcher ce qui commençait et que d'un coup tout s'arrête. Rien à laver plus tard, à effacer, à rationaliser, à rassembler en images matérielles, à avoir le choix, à oublier. Peut-être te semblait-il si absurde de devoir te défendre, à ce moment-là.

Tu ne sais toujours pas et te dis que forcer les souvenirs ne serait pas une bonne chose, qu'il y aurait de l'incohérence, des questions en suspens, des lèvres mouillées ça va encore mais pas, non, cet élastique qui tire et la réalisation que l'avenir immédiat semble bien mal embouché. Le poids autrefois si léger, ta cervelle en terrain vague, attendre que ça passe, sa petite affaire terminée. Le voir comme un cadavre en action et devenir plastique, verre, boite automatique, chose pas là, fantôme. Une jambe en nuage sur laquelle se frotte un teckel. Tout au mieux un sujet à tourner en dérision, vu que c'est la dernière chose qu'il te reste.

mercredi 16 juin 2010

Pleine Lune

L'esprit en perpétuelle tension. A gérer, calculer, assimiler, informer. Ne pas trop faire peur (pas plus loin que le divertissement), respecter et tranquilliser. Sur la brèche en permanence, avec les tendons qui craquent, comme l'unique point fixe et solide au milieu de murs qui s'effondrent. Ne pas faire attention à la poussière qui s'accumule sur tes épaules, oublier tes yeux qui grattent, et tes oreilles seront vite bouchées par les gravats. Se concentrer, sur autre chose, ce n'est qu'un mauvais moment à passer.

Se mettre entre parenthèses, comme ces animaux à carapace, ceux à piquants aussi qui se figent dans un mouvement de défense bien rôdé (depuis tout ce temps c'est sûr). Espérer qu'on ne détecte pas ton souffle, te tenir la bouche certes, mais tenir surtout en place. La moindre vibration suspecte, le moindre grésillement en trop pourra faire basculer la douleur dans l'autre sens, vers l'irréversible.

Et là : clac.

dimanche 13 juin 2010

Tarte à la crème

Il y a le monde où les femmes sont des anges à la patience infinie et les hommes des chiens fous brûlant leur jeunesse par tous les bouts. Un monde qui s'ennuie tellement où que faire d'autre à part compter les balles, un et deux divisées pour mieux régner et où d'autres soulèvent les fesses devant une façade murée. Il y a ce monde où les gens s'embrassent, comme dans les films, ceux qui pensent à la photo d'abord, le bustier bien en place, les mains là où il faut. Il y a ceux qui placent les souvenirs avant tout, avant même qu'ils arrivent, prêts à tout pour l'image qu'ils laisseront sur la cheminée, sur la table de nuit, ou dans l'entrée histoire de te mettre en condition quand tu leur rendras visite. Il y a ce monde où ils crient dans la rue, des paniers remplis et des paillettes sur le front – parce que c'est la tradition. Il y a ce monde où ils parlent pour ne rien dire, où le but du jeu consiste à remplir le silence, quoiqu'il en coûte, et où les mots n'ont pas le sens qu'on leur intime, en général. Il y a ce monde gavé à craquer, surchauffé et sec, de champs d'échardes et d'eau impropre à la consommation, ce monde où ils répètent à l'envi ce qui a été entendu la veille, et où ils étendent à l'infini des informations qui n'en sont pas.

Et parfois le bonheur me fait tellement mal au cœur qu'il en coule par les yeux. Ce qui ne tient à pas grand-chose, vous en conviendrez, comme ces filaments de salive tendus entre deux doigts. Ces choses fragiles, fugaces, fuyantes. Une musique, un texte, les deux qui se mélangent et la vue qui se brouille. La toute toute petite encadrée de noir, brute, à l'air, respirant, éclatant, avec les infirmes tâches de rose qu'on n'avait pas détectées, ni analysé, traité, passé au cerveau, remonté tout là-haut jusqu'à ce que ça fasse bing.

Sans demander son reste.

mardi 1 juin 2010

Lessive

Ils ont des yeux tristes, des peaux grasses, des cheveux hirsutes, des ceintures colorées et des dents jaunes, des polos rentrés dans leurs pantalons, des revers à leurs jeans. Ils rient, ils rient, ils rient, collés, des élevages de pucerons sur des bâtons sucrés, bien serrés, bien au chaud, et tous tournent la tête l'un vers l'autre et se regardent derrière les rideaux.

Des avalanches de bonnes idées, de bons mots (applaudissements), les entraides se défont à mesure que les gens passent, s'enroulent et reviennent, au gré des relais d'opinion, des personnes en vue, des rumeurs persistantes sur untel, le voisin, de loin, celui qui ne parle pas assez pour être honnête.

Une existence tendue dans un unique mouvement, une oscillation permanente, un tournis sans fin sans faille, des joues qui rosissent, des sourcils relevés. Et ils s'en vont main dans la main, épingle à cheveux et peaux de bananes (« tu ne l'as pas volée celle-là »). Un mouvement de foule, la vague dans les gradins, la huée des spectacles et des mises en scène bien rodées pour confronter l'ennui et le mettre en cage.

Toujours alertes, suivis, guides, partenaires, jeux de dupes périssables, plans de table aléatoires, noyaux durs, peur, soumission. Serments de fidélité, partage, pour que jamais tu ne m'oublies. Dans les poches des petits cailloux secs et coupants, les mains saignent et les pupilles s'irritent, telle la poire pour la soif.

Prendre conscience de la clameur, du vide, et comme des cloportes sur le dos : paniquer.

jeudi 13 mai 2010

Julius & Augustus

La vie, ce n'est pas ça, même s'il n'y a aucune définition valable. Ce n'est pas les gens qui se croisent dans les rues. Ce n'est pas cet homme, assis sur son rocher comme une grenouille et qui pérore des affaires en cours, de l'actualité, des scandales, des débats. La vie, ce n'est pas ça. Ce n'est pas les coups d'œil de portières, les dragues aux feux rouges, les airs entendus. La vie, ce n'est pas untel qui a dit d'un autre qu'il bouffait comme un porc. La vie, ce n'est pas ça, ce n'est pas savoir que Monsieur Ducon a tel ou tel avis parce qu'il lit le journal. Ce n'est pas ces trois abrutis qui discutent des femmes en laisse et qui rient. La vie, ce n'est pas ça, ce n'est pas raconter du pâté dans la bouche les alertes incendie, les manigances, les spectacles du monde où le peuple accuse ses dirigeants de maux inventés. La vie ce n'est pas ça. La vie ce n'est pas s'agiter tellement qu'on oublie l'idée même du silence. La vie ce n'est pas ça. Ce n'est pas les comptes sur des grilles de lotos, des dessins gribouillés au téléphone, des pucerons, des charognes.

Ça ne fonctionne pas. Pas comme de la colle.

lundi 10 mai 2010

Banquise

Rappelle-toi, disait-elle, que lorsque une personne te fait connaître un livre ou une musique que tu aimeras à la folie, cela n'aura rien à voir avec elle. Ne te laisse pas contaminer, disait-elle, ne laisse pas polluer tes souvenirs de mains écartelées dans le vide, la tête posée presque à l'envers sur le matelas, par des émotions annexes. En trop. Ne te laisse pas identifier la figure d'un passeur avec celle de la mélodie se déroulant à l'intérieur de ton crâne, grattant l'os par en-dessous, rebondissant sur la chair de ta cervelle, en gouttes électriques irisant tous tes muscles. Cela n'a rien à voir, disait-elle, et des générations et des générations de naïfs ont été prises au piège, flouées par des connards en kit complet qui avaient les bonnes références, les mains roses et les bermudas retroussés. Il n'y a rien dans ce qu'ils te donnent qui ne leur appartienne, disait-elle, ils ont eu simplement la bonne idée d'être là au bon endroit au bon moment, et ce n'est pas un luxe, il n'y a pas de médaille à accrocher sur leur peau (même si cela pourrait les faire saigner). Efface tes yeux, nettoie tes oreilles, disait-elle, retrouve les reliques de leur absence, creuse, racle avec tes ongles, fais place nette. Sois seul.

jeudi 6 mai 2010

Baudruche

Il y a quelque chose de liquide dans tous ceux qui n'existent pas : ceux qui rentrent pour cocher leurs courses sur catalogue, qui allument la télé alignée au divan, ceux aux nounous noires et aux enfants blancs. Il y a quelque chose de rampant dans ces existences molles, des cheveux errant dans l'eau, des ventres mous, gazeux, comme une odeur de merde, aussi, dans leurs murs à moulures, leurs graines pour oiseaux savamment dispersées. Il y a quelque chose d'humide dans leurs réponses toutes faites, leurs gros yeux roulant, maman, comme une envie de conquête déçue, une saveur de nation. Il y a quelque chose de fondamentalement faux, dans leurs chaussures carrées, leurs mentons fuyants, leurs lunettes sans monture, leur souffle écrasant. Une chaleur en queue de rat, du malheur en tirelire, un peu de poudre, par petites touches, car point trop n'en faut. Il y a quelque chose d'amer dans leurs gestes cadrés, leurs cérémonies annuelles, leurs descentes aux flambeaux, des boucheries de chair, des corps qu'on entasse, ramassés à la pelle, un goût de caniveau. Il y a dans leurs fenêtres des meurtrières, larges d'adrénaline et coupées au couteau, des charnières invisibles, de l'humus – un peu trop. Il y a dans leurs escalades, leurs mélodrames sentis, leurs opinions prévues et leurs travaux forcés, quelque chose de mort, à bien vite enterrer.

dimanche 11 avril 2010

Oisiveté


(...)

- et c'est comme ça que j'ai réussi à t'avoir

- oui, mais ce n'est absolument pas ça qui m'a séduite chez toi

- ouais, mais quand même, regarde le, lui, il part en camping avec des filles, son duvet est cassé, il doit dormir avec une meuf, et ne la touche pas du tout

- de toute la nuit ?

- mais clair ! Il a même eu vachement de mal à dormir, essayant de se faire une frontière mentale avec le corps de la fille
- l'hallu, mais en même temps, moi ce que j'aime chez toi, c'est que tu sais ce que tu veux

- ah non mais j'ai aussi mes barrières, mes limites, mais le truc, c'est que tu prends ton rôle de femme vachement au sérieux, et ça j'adore, au niveau de la cuisine, mais aussi au niveau du glamour tu vois, tu me valorises vachement

- et sinon pour les vacances on fait quoi ?

- le sud-ouest ? ...

- ah non, merci, avec tous les consanguins là, non, moi j'ai envie de partir de France, du genre aller dans un pays où les gens sont différents, sourient à la vie, où on ne sait plus quand c'est le jour, quand c'est la nuit, quand on se lève, quand on rentre...

- le Portugal ?

On te tuera pour te faire taire, par derrière comme un chien... Et tout ça pour rien ! Et tout ça pour rien !

dimanche 4 avril 2010

Protocole

Il me serait pénible que tu m'écrives une dernière lettre à laquelle je ne pourrais pas répondre comme nous le faisions tant, en intercalant mes passages des tiens, en soulignant, en te montrant que là tu n'avais pas bien compris, qu'il n'y avait pas à savoir si la vie était belle ou valait le coup d'être vécue, qu'il n'y avait pas à se demander à quoi bon, ou pourquoi, et hurler au crayon gras que de me laisser là toute seule n'était ni une bonne idée, ni très sympathique de ta part.

Et qu'on peut bien rebondir et pousser ce qui tombe, je serais bien en peine de m'y remettre en ne te sachant pas là, à portée de martinet dans les rues désertées d'août.

Si tu meurs, ne m'écris pas.

lundi 29 mars 2010

Hameçon


Comme un odeur de poisson huilé transpire de ses gencives. Elle sourit, toujours, tout le temps, dès qu'elle tourne la tête et en croise une autre, ses lèvres se retrouvent et elle sort ses dents. Elle plisse les yeux la main sur les hanches, en présentoir, on pourrait y faire tenir un plateau sans problème. Ses globes oculaires s'étirent et sa bouche s'ouvre, un peu, en meurtrière blanche et brillante, les reflets des lunettes en plus.

Elle aiguise sa voix, fait la fragile, mime la dépendance et la moue, couine, caquette, conteste toute force et se roule en boule. Elle gratte de ses doigts courts les murs en meulière sur lesquels j'essuierais bien son visage enfantin.

Mais elle hausse les épaules aussi, l'une, puis l'autre, cligne, tchin, avance les bras, tente de l'attraper puis revient, applique les leçons apprises dans un manuel en feuillets – mais sans trop insister et sans en avoir l'air. Des paupières lourdes, un corps engourdi, elle dormirait bien là et tâte le moelleux des chaises longues, au-delà des portes closes. Le blanc de ses yeux soulignés, la concavité terne et l'amertume en berne, tout en elle paraît facile, ici, maintenant. Ses os pourtant cachés sous un dos rond.

Et la voûte du crâne étincelante.

dimanche 14 mars 2010

Sans rancune

En cercle, comme au théâtre – le spectacle autant sur scène que dans la salle. Ceux du haut regardent ceux du bas qui gonflent les poitrails et prennent des airs savants. Ils s'accrochent à leurs bras comme on se rattrape aux branches, elles se calent dans leurs cous, sur leurs poitrines si fermes, rassurantes. Ils sentent leurs parfums, exhibent des pull-overs roses et gris, et des chaussures aux bouts carrés. Ils parlent avec leurs mains, un peu, se tiennent le menton, froncent et plissent, s'éventent en été, ont des regards complices.

Ils n'entendent rien de ce qu'elles disent, ont des poignées viriles, savent ce qu'ils veulent. Ils crient « ça me débecte », et chantent sous leur douche, boivent, font des mélanges. Ils titubent sous les réverbères et ne s'en souviendront pas. Plus tard, elles les attendront, furieuses pour avoir oublié le repas du dimanche, même si ce n'était pas vraiment ça le problème.

Ils sont émus quand la nuit tombe, et se couchent un peu plus tard. Adorent les livres d'écrivains, sont soucieux du temps qu'il fait. Les vagues, l'humus, le cri des mouettes, les épines dans les sandales et la peau qui tire. Elles s'affalent dans des fauteuils et craignent les puces de lit. Font tenir des crayons sous leurs seins, ouvrent la bouche et tirent leurs lèvres en rond. Ils disent s'en foutre, elles savent qu'ils mentent. Leur œil morne quand elles se déshabillent. Car elles n'y croient plus à tout ça et c'est à elles qu'ils tiennent.

Leur vie n'a pas d'odeur et rebondit sans faire de bruit.

samedi 27 février 2010

Tendinite

Des grenouilles bien rangées dans des bidons de formol, sur des étagères en verre. Les peaux épaissies et blanchies, les yeux vitreux, les bras ouverts dans un dernier appel à l'aide. Ils avancent, côte à côte, font balancer leurs mains, soufflent, s'étirent et sautillent. Gonflés d'orgueil comme des chats noyés, si fiers d'être là si tôt, de fêter à leur façon le rallongement des jours, le tiédissement du ciel, les yeux qu'on commence à plisser des matins réchauffés, les odeurs qui explosent et l'herbe qui pousse.

Il faut se motiver oui, sortir de sa tanière, se décrasser les pores et détoxiquer son foie, vivre sainement dans un esprit sain sans être contre un chocolat en terrasse – le fond de l'air est encore frais, elle va garder son manteau.

Ils regardent les nuages et y voient des visages, ils rient s'esclaffent mettent la main devant leurs bouches. Croquent la vie à pleines dents et laissent l'acide aux bêtes, qu'ils écraseront nonchalamment entre deux plaintes de porte. Ils ondulent des joues, rougies, et replacent leurs cheveux derrière leurs oreilles, masque mortuaire d'une vie sexuelle bien mise.

Pour se détendre de n'avoir rien voulu, ils se retrouveront autour de kiosques à journaux, piafferont un feuilletage pour le finir en tube, dans un sac en papier. Ils me regarderont comme un mauvais présage, désolés eux aussi d'en avoir tant manqué.

jeudi 25 février 2010

Impasses



Ils font des photos sur des polaroid pour de faux – ils les prennent avec leurs téléphones. Mais ça donne l'ambiance recherchée. L'idée passée, un peu racornie et voilée d'une vie qu'ils auraient voulu vivre avant et par super 8. Ils prennent des poses : il serait Serge, elle Jane, lui John, elle Yoko, ou encore Patti Smith. D'ailleurs depuis peu il s'est fait pousser la barbe et porte des t-shirts toute l'année, avec des dessins dessus. Elle c'est les shorts et les talons compensés. Elle enfonce sa tête dans son cou, fait tomber sa frange sur ses yeux, il fume des cigarettes en fronçant les sourcils. 

Ils alignent les bouteilles sur les cheminées à moulure, les amis passent et les félicitent. Ils sont une sorte de modèle pour tout le monde, alliant l'esthétique à l'agréable, et méritent toutes ces images collées dans les coins des miroirs, un peu penchées, pas symétriques. Parce qu'il ne sont pas comme ça. 

Ils crient à leurs fenêtres, ça les fait rigoler. Les soirs de foot, ça leur arrive de boire des bières et de se plier devant l'écran qui trône toujours au milieu d'un salon aux canapés blancs. Ils lèvent les bras, s'embrassent, transpirent. Vibrent.  

Ils s'énervent aussi sur de la politique, sur les sous-verres des bars, mais sortent volontiers pour fumer, parce qu'ils calent leurs poussettes à côté des manteaux et font des yeux ronds sur leurs nouveaux bébés. Appelés de noms mythologiques ou littéraires choisis, souvent courts et simples à articuler. 

Ils vivent des vies pastels qu'ils regardent à travers des filtres qui floutent. Roulent en boule sur les flancs des collines pour finir exténués. Du sang sur les mains. En dispersion rangée. 

samedi 13 février 2010

Le feu - la porte - le trou - la fin


Je perdais du sang noir acre et métallique. La maison vide, chaude et froide. Sans bruit la route gelée. Un peu de gadoue qui vole quand les voitures passent. Mes yeux se fixaient sur le sol, le trottoir et la neige en plaque, ça monte, attention à ne pas glisser. Les maisons en rang d'oignon grises, le ciel livide et les marcheurs étouffés. L'air trop parfait, trop mis en scène, trop là. Dans la grande maison vide, chaude et froide, je regarde mon index et la cicatrice de morsure de perroquet. 

Arrête, ne mets pas ton doigt, reste tranquille, il va te mordre, ne l'emmerde pas, voilà, il t'a mordu.

La trousse de secours dans le coffre de la voiture, le bruit de sable sous les roues, des vieux bandages à l'odeur de camphre. Je perdais du sang noir acre et métallique. De petites quantités collantes, à l'odeur de moisi et de limaille de cuivre. Le fond de la gorge sèche, jamais rassasiée par cette eau vraiment trop froide. 

Ils tournent et ils posent leurs mains, tournent et posent leurs mains, de plus en plus vite et le tournis prend à mesure qu'ils forment un seul cône de tornade humaine, ou semblent le vouloir. Les gestes sont de plus en plus brefs, les passages de plus en plus secs, les semelles de chaussures de plus en plus plates collent avec la neige qui fond. Ils tournent et touchent, tournent et touchent derviches -travail, famille, Charles de Gaulle. L'indépendance de la France, le culte du secret, la fine équipe soudée, très apprécié très respecté très discret très efficace. Une force de la nature, les cadeaux, la culture. Les sentiments rentrés, le bon fond, la franchise - honnête et droit.

Au mur des cadres en bois coloré et des feuilles d'arbres d'argent et d'or. Je perdais du sang noir acre et métallique, l'acidité montant avec le rouge et la fraîcheur irradiant le fond. Compter en cuillères et fourchettes, car ça voulait tout dire. Les codes à brûler ses calculs. A la maison le fauteuil taciturne est bordé de cheveux secs.

Dans la maison vide, chaude et froide, je perdais du sang noir acre et métallique sur son cercueil scellé à la cire cramoisie. 

jeudi 11 février 2010

Valet

Dans la rue, j'ai trouvé un carnet bleu.
Un vieil agenda de 2004 ou 2005, avec marqué « carnet de RDV » sur la page de garde et un couverture en skaï. Le carnet est petit, mais rempli : de faux dialogues, de pensées, d'un type, rassemblées visiblement en techniques pour draguer.
Il y a plusieurs parties. Dans la première il fait le gentil, teste des blagues « votre sac a l'air de s'ennuyer, permettez-vous qu'avec mon sac à moi on s'assoie à côté de vous pour déjeuner ? ».

Dans la seconde, il se fait plus cassant, cherchant là, peut-être, à jouer le salaud que toutes les filles recherchent, avec des excuses pour pleurer la nuit et se sentir vivantes.
« Porterais-tu des chaussures si tu n'avais pas de pied ?
- non
- alors pourquoi portes-tu un soutien-gorge ? »
Dans la dernière, ce sont des réflexions seules et des notes absurdes, et toujours des blagues : « chercher les paroles de Gainsbourg, Love on the Beach, très important » - « les temps sont durs, comme les œufs ».
« Que faut-il faire quand un éléphant a la chiasse ?
- de la place ».

vendredi 29 janvier 2010

Étude sur l'identité

A l'époque, j'avais un fil que j'appelais mon chien. Je l'emmenais partout : mon chien mon chien mon chien. C'était juste un fil, que je traînais, une ficelle.

A l'époque, je faisais des soupes d'herbes, des potions magique avec du sable et des orties écrasées. Des cailloux à touiller dans un pot en plastique avec un bâton en bois.

A l'époque, je tapais sur des clous à côté de l'établi, je tordais des vis, je limais des chutes de planches. Je prenais des bouts de colle et je serrais dans l'étau.

A l'époque, je pensais avoir été trouvée dans une poubelle, laissée là par Highlander. La seule façon d'en venir à bout, c'était de me couper la tête.

Je remontais les draps la nuit. Ça je l'ai déjà dit.


samedi 23 janvier 2010

Croûte

Ils étaient des corps vides qui marchaient, des corps vides qui parlaient, des corps vides qui cherchaient des bouteilles vides à remplir. Des cheveux sur de la peau et des organes morts à l'intérieur, ou alors en plastique. Des mouvements réflexes, des phrases toutes faites, des sentences déjà entendues et tout de suite oubliées – et toi quelle est ta formation ?

Avant dix ans, c'est sûr, plus précisément je ne me souviens pas ma mère m'avait emmenée au planétarium. Dans le noir la tête à l'envers, j'avais déjà la peur panique qu'on m'égorge et le cou sensible, le drap remonté jusqu'au nez de peur des loups-garous, et des vampires, car de toutes les manières leurs têtes passaient entre les barreaux de mon lit, c'est mon frère qui me l'avait dit et à l'époque on lui faisait confiance.

La voix morne dans le noir et les naines blanches, l'extinction du soleil, la mort de tout. Sans espoir sans issue, la cage à souris qui avait la taille du monde. En revenant les hurlements qu'on allait tous mourir, ma sœur qui se foutait de ma gueule et cherchait peut-être aussi à me rassurer vu que bien avant je serai déjà morte. Elle me disait ça : « tu sais, ça fera longtemps que tu seras morte », en mangeant la bouche ouverte.

Depuis à intervalles réguliers j'ai le cœur comme entouré de vent.

jeudi 7 janvier 2010

Ferme les yeux et lèche

Oh la la ils s'y mettent tous avec le feu de camp au milieu, les fesses bien calées les unes contre les autres, les coudes pas trop piquants. Ils digèrent faut dire, alors vaut mieux en faire des blagues, avec les rots qui râpent le fond de la gorge. Leurs voix qui sentent le pâté, le pâté mâché dans les bajoues, une sorte de modification génétique et vocale à base de charcuterie. Les narines qui se dilatent, les sourcils qui graissent, le coin des yeux qui plissent et le haut du ventre qui remue.

oh oh oh
ah ah ah

Les clins d'œil en soubassement, parce qu'ils sont par trop serrés pour se la tapoter et signifier leur entre soi qu'on a bien tous compris de quoi il en retournait. Parce qu'eux, ils ne sont pas comme ça, ils n'en n'ont pas de ce genre de problèmes : ni d'argent, ni d'addictions, ni de passades pour leur sucer la bite entre deux contractions. Non, ce n'est pas leur genre, au-dessus de tous à se la détailler, la poutre, qui leur dépasse du canal lacrymal.

C'est qu'il écrivent des livres, vous savez, et remplissent des pages et des pages de conneries pour parler d'un tas de merde, de leurs cheveux qui tombent, de leurs femmes qui les quittent, du temps qui passe. De leurs considérations existentielles entre deux lignes de coke ou deux prises d'anxiolytiques ; de leurs avis sur la marche du monde (dont tout le monde se fout) et sur la mort des idéologies. Et sur d'autres écrivains, aussi, les morts, à qui on aimerait bien ressembler parce que mourir à trente ans, finalement, quelle ultime sérénité. Quand on y pense. Et ils ont tout compris.

C'est qu'ils s'emmerdent, vous savez, parce qu'une bonne guerre ça leur donnerait peut-être l'occasion de se redorer le blason et de se la durcir, et que les choses soient bien claires – qui c'est qui commande, qui c'est ton papa. C'est qui, c'est moi.

oh oh oh
ah ah ah

C'est qu'ils changent l'eau des vases comme la fleuriste leur a dit (la bouche en cœur), avec des sachets de bicarbonate de soude et quelques grains d'aspirine. Dans ce genre de jour où tout est bouché.

Mais ça passera.