jeudi 13 mai 2010

Julius & Augustus

La vie, ce n'est pas ça, même s'il n'y a aucune définition valable. Ce n'est pas les gens qui se croisent dans les rues. Ce n'est pas cet homme, assis sur son rocher comme une grenouille et qui pérore des affaires en cours, de l'actualité, des scandales, des débats. La vie, ce n'est pas ça. Ce n'est pas les coups d'œil de portières, les dragues aux feux rouges, les airs entendus. La vie, ce n'est pas untel qui a dit d'un autre qu'il bouffait comme un porc. La vie, ce n'est pas ça, ce n'est pas savoir que Monsieur Ducon a tel ou tel avis parce qu'il lit le journal. Ce n'est pas ces trois abrutis qui discutent des femmes en laisse et qui rient. La vie, ce n'est pas ça, ce n'est pas raconter du pâté dans la bouche les alertes incendie, les manigances, les spectacles du monde où le peuple accuse ses dirigeants de maux inventés. La vie ce n'est pas ça. La vie ce n'est pas s'agiter tellement qu'on oublie l'idée même du silence. La vie ce n'est pas ça. Ce n'est pas les comptes sur des grilles de lotos, des dessins gribouillés au téléphone, des pucerons, des charognes.

Ça ne fonctionne pas. Pas comme de la colle.

lundi 10 mai 2010

Banquise

Rappelle-toi, disait-elle, que lorsque une personne te fait connaître un livre ou une musique que tu aimeras à la folie, cela n'aura rien à voir avec elle. Ne te laisse pas contaminer, disait-elle, ne laisse pas polluer tes souvenirs de mains écartelées dans le vide, la tête posée presque à l'envers sur le matelas, par des émotions annexes. En trop. Ne te laisse pas identifier la figure d'un passeur avec celle de la mélodie se déroulant à l'intérieur de ton crâne, grattant l'os par en-dessous, rebondissant sur la chair de ta cervelle, en gouttes électriques irisant tous tes muscles. Cela n'a rien à voir, disait-elle, et des générations et des générations de naïfs ont été prises au piège, flouées par des connards en kit complet qui avaient les bonnes références, les mains roses et les bermudas retroussés. Il n'y a rien dans ce qu'ils te donnent qui ne leur appartienne, disait-elle, ils ont eu simplement la bonne idée d'être là au bon endroit au bon moment, et ce n'est pas un luxe, il n'y a pas de médaille à accrocher sur leur peau (même si cela pourrait les faire saigner). Efface tes yeux, nettoie tes oreilles, disait-elle, retrouve les reliques de leur absence, creuse, racle avec tes ongles, fais place nette. Sois seul.

jeudi 6 mai 2010

Baudruche

Il y a quelque chose de liquide dans tous ceux qui n'existent pas : ceux qui rentrent pour cocher leurs courses sur catalogue, qui allument la télé alignée au divan, ceux aux nounous noires et aux enfants blancs. Il y a quelque chose de rampant dans ces existences molles, des cheveux errant dans l'eau, des ventres mous, gazeux, comme une odeur de merde, aussi, dans leurs murs à moulures, leurs graines pour oiseaux savamment dispersées. Il y a quelque chose d'humide dans leurs réponses toutes faites, leurs gros yeux roulant, maman, comme une envie de conquête déçue, une saveur de nation. Il y a quelque chose de fondamentalement faux, dans leurs chaussures carrées, leurs mentons fuyants, leurs lunettes sans monture, leur souffle écrasant. Une chaleur en queue de rat, du malheur en tirelire, un peu de poudre, par petites touches, car point trop n'en faut. Il y a quelque chose d'amer dans leurs gestes cadrés, leurs cérémonies annuelles, leurs descentes aux flambeaux, des boucheries de chair, des corps qu'on entasse, ramassés à la pelle, un goût de caniveau. Il y a dans leurs fenêtres des meurtrières, larges d'adrénaline et coupées au couteau, des charnières invisibles, de l'humus – un peu trop. Il y a dans leurs escalades, leurs mélodrames sentis, leurs opinions prévues et leurs travaux forcés, quelque chose de mort, à bien vite enterrer.