mardi 19 mai 2009

Fresh

Salut

Salut...
 

Ça va ?

Mouais...

Quoi ?

Je ne sais pas...

Mais dis !

Mais je ne sais pas quoi dire...

Bah dis comme ça vient !

Pff, je ne te sens plus...

Ah,

Oui

Bon

J'en ai marre

Moi aussi

Tu vois !

On s'est trompés, je crois

Tu t'es trompé ! moi j'ai toujours été sûre de moi !

Si tu veux, disons que les choses me regardent. Nous n'avons pas les mêmes attentes, nous n'allons pas la même direction, nous n'allons nulle part...

Je le savais.

(...)

Tu as toujours été un connard égocentrique et égoïste de toute façon

Ça doit être ça

Le pire, ce n'est pas de m'avoir menti, mais que tu te sois menti à toi-même

Clair.

J'ai terminé le repas devant la glace.

Raison

Attendre. Trop tard, c'est aux antipodes de ce que tu pouvais espérer quand tu avais encore du temps pour rêvasser et les yeux brillants tournés vers ce que tu ne savais pas encore. Maintenant, il y a trop de choses que tu connais, que tu maîtrises, dont tu dis savoir le cours avant même de les avoir commencées. Cela te paraît prévisible, tu en devines déjà la fin. C'est comme si tout devenait glauque, comme la toile cirée de la cuisine au savon de lavage mal rincé.

Il y a toujours, oui, des rues ou des arbres au détours desquels tu peux te dire c'est joli, qui méritent que tu t'y attardes, que tu reprennes un peu ta respiration pour mieux en savourer une certaine délicatesse, mais plus rien n'a le goût des premières fois. Tout te paraît usé, guindé, les tentatives pour redorer les blasons ne sont qu'artificielles, comme des pis-allers de conduite, comme s'évertuer à ne jamais faire au retour le même voyage qu'à l'aller. Se ménager des surprises et faire semblant d'ignorer ce qu'il y a dedans.

Un jour, tu penses avoir trouvé la solution. Des milliers et des milliers d'ancêtres sélectionnés pour maximiser les chances de survie de l'espèce, et une fois passé l'optimum reproductif, on s'emmerde. On n'a pas été faits pour vivre vieux, c'est ce que tu répètes, une fois la pépite découverte, à foison, à brandir en sticker repositionnable à l'envi.

Et perdre patience.



dimanche 17 mai 2009

En rond

Il avait une petite langue pointue de porc qui tapait sur l'arc de ses dents rapprochées. Il clignait des yeux aussi et personne ne savait véritablement, avec précision, qui il regardait. Des lunettes sans monture mais d'une épaisseur telle qu'elles déviaient son strabisme déjà conséquent.

Les yeux enfoncés sous un crâne avancé, des sourcils presque chauves, un front haut qui donnait sur des cheveux courts, grattants.

Il agitait de grands bras aux manches remontées. Il les agitait mollement, les articulations serrées, le stylo dans la main, présent, déterminé, les notes sous les yeux. Il parlait.

Je suis gestionnaire en management des risques en organisation de l'entreprise.

Il le sortait d'une traite, sans respirer, la petite langue de porc tapait sur ses dents, en mitraillette, tac a tacatac tac.

Son nez trop maigre à l'os trop court bougeait du bout quand elle ouvrait la bouche. Elle avait aussi de petits yeux, avec ou sans lunettes, je ne m'en rappelle pas. Elle était sèche, cachait son torse plat sous deux couches de vêtements qu'elle tirait sans cesse pour redraper ses reins. Elle disait vouloir, pourquoi pas, se couper un bras. Elle faisait le geste de la main sectionnant pour de faux l'articulation de l'épaule.

Encore un autre plus vieux, au crâne certainement plus blanc, même si la densité capillaire se rapprochait du néant, quasiment. Il parlait peu mais du nez en tout cas, et le corps penché en avant. Je me disais l'avoir déjà vu quelque part, bien que l'attestation factuelle ait obtenu sa note de réalité hautement improbable.

Rien ne se renouvelle jamais assez pour tout le monde.



samedi 16 mai 2009

Toutes des putes sauf ma femme

Là nous sommes d’accord, personne ne t’empêche de penser ce que tu penses.

Tu pourrais y aller franco et ne pas te retourner sans te dire que tu aurais dû parier sur le chien n°63 et que de toutes façons c’est complètement absurde de parier sur des chiens anorexiques qui poursuivent un faux lapin – ou un lapin mort, car de là où tu es, tu ne vois pas très bien. Mais la chose est faite et c’est maintenant trop tard.

Quand tu étais petit, ton père te disait toujours qu’il fallait que tu mûrisses tes choix, que tu te demandes vraiment si tu voulais ça ou ça ou encore ça et de te demander jusqu’au bout si ça allait te convenir et te demander si bien oui tu étais sûr de vouloir ça plutôt que ça et de bien réfléchir aux conséquences – et souvent à la fin tu tirais à pile ou face.

Il y a dans toute personne que tu rencontreras un être insoupçonné, quelqu’un que tu ne pensais pas possible et tu seras déçu. Alors il te disait aussi de faire attention et de te méfier, de bien réfléchir avant d’accorder ta confiance ou de dire des choses que tu n’aurais pas dû dire ou seulement à quelqu’un en particulier car les gens sont parfois cruels sans raison mais c’est juste que ça les rassure car ils se sentent exister en faisant du mal aux autres ; ils s’impriment dans leur existence pour se donner l’illusion que leur vacuité intrinsèque a bien plus de consistance (et ça tu ne le comprenais pas).

Ce que tu aimais bien faire, quand tu étais petit, c’était de t’inventer inventeur. De dire qu’il y avait plein de choses tellement utiles auxquelles personne n’avait jamais pensé et que tu pouvais devenir riche juste en en ayant l’idée, et recommencer jusqu’à l’infini et la fin de ta vie. Il suffisait juste d’avoir les intuitions de ce qui manquait dans la vie des autres en prenant évidemment la tienne comme modèle et les choses iraient d’elles-mêmes. Tu t’étais par exemple dit que ce serait une bonne idée d’inventer le fast sex et de la même manière que les gens ont de temps en temps ou souvent ou quand ça leur chante envie de manger au fast food et de manger chaud et de se remplir le ventre rapidement et efficacement tout en sachant qu’aux quatre coins du monde la même chose allait leur être servie – avec quelques variantes exotiques le temps des promotions à durée limitée -, tu pensais que de temps en temps ou souvent ou quand ça leur chante les gens avaient envie de baiser sans passer par des verres ou des dîners ou des semaines de drague et de conversations, qu’il y avait bien les prostituées (pour les hommes) mais que là aussi c’était compliqué, et qu’il fallait choisir et bien tomber, et faire attention aux conséquences et avoir peur des maladies – et qu’il y avait bien aussi des femmes qui avaient envie de se faire mettre avec un service clé en main.

Mais en dehors de toi et de tes trois copines nymphomanes, tu t’étais rendu compte à faire tes calculs et tes analyses prospectives que tu valais quedalle en termes de marché. Que les gens ils te disaient que l’intéressant c’est le jeu de séduction et les dîners et les conversations et les semaines de drague et les verres, que c’est cela qui apportait la consistance à la vacuité intrinsèque du sexe brut et qui faisait des souvenirs.

Pour devenir riche, il te resterait donc les lévriers, et tu avais grandi.


mardi 12 mai 2009

Clash

Calligraphier l'envie et en faire des volutes. Ne pas voir se qui cloche et y penser demain. Tu ne devrais pas me donner de telles idées, mettre en branle les engrenages, les boulons et les tournevis.

Rideau orange en jersey, lieu qui n'a pas d'âge, froid. L'eau dans la bouteille pourrait sortir du frigidaire. Me pelotonner à en oublier ton absence (même si tu ne sais pas à qui je m'adresse). L'enveloppe cachetée dans la boîte moisie d'ennui, il y a la lune qui éclaire les nuages de mon crâne ramolli : le sang jaillira plus tôt qu'on ne l'attend. Chair de poule sur les épaules, il faudrait m'en dire plus.

Les ombres pourraient s'advenir bucoliques s'il n'y avait pas ce brouillard et ses perles d'ennui. Pas de cheminée qui fume ni de feu qui crépite, les clichés se sont tus. Je déblayais les derniers cadavres d'araignées. Empiler les restes et sortir le tout à la fourche, faire des tas et des amoncèlements, serrer dans les coins, fourrer les interstices, envisager l'infime partie vacante et faire des pronostics.

Ces odeurs rémanentes qui auront la vie dure, tu pourrais faire des listes et enfin faire ton deuil, savoir que tout passe et rien n'est imprévu. Comme cette grande maison qui t'angoissait en rêve. Le tournant de la route enfoncé dans les pins, la montée involontaire et l'arrivée subite. Faire croire que quelqu'un t'y attend et que je ne le saurai pas.

Car globalement, de tout ça, on s'en fout.

Conditionnement instable au niveau des jointures

Jalousie du passé, comme c'est idiot et absolument sans intérêt. Ta tête parle, fort, à te mettre les équations en branche histoire que rien ne puisse, avec crédibilité, être taxé de futile. Mais tes yeux cadencent : alors comme ça tu aimais l'enculer dans les fourrés et ressortir la poitrine haute et quelques échardes en guise d'attestation ? Comme cela devait être drôle et instructif, ma foi, toutes ces anecdotes pour te mettre le lit au carré.

Elle est arrivée un jour de pluie et ne ressemblait à rien, à une sorte de truie luisante et verte, penses-tu, avec les difficultés remémoratives du type à qui on ne la fait pas (froncement de sourcils). La cloche a sonné, drelin, et c'est ainsi que tu la remarqua, par obligation quoi ; oui. Ce que tu dis, évidemment, aujourd'hui, et tu oublies en protection par défaut du crâne de mentionner la gaule immédiate qu'elle t'a mise. Toi et tes si grands soucis pour te la faire tenir droite, il y avait de quoi marquer le coup. Façon de parler.

Les préliminaires écourtés car elle venait de la part d'un ami et tu savais bien qu'il serait du genre à te la refiler en douce. Oh non, pas grassement, oh non pas comme des potaches de bas étage, non non non, du genre classe, t'as vu, avec des prétextes intellectuels de haute volée, façon biographie à rédiger, façon besoin de détails, façon spécialiste ou amateur éclairé, façon approche plus précise, tête derrière l'épaule et, sans aucune précipitation, croupe à ramoner.

Tu la laisseras sur les notes de bas de page, en attendant que ça sèche. Et je pouffe. Sur mon séant.

Fixation

Respecter ses engagements ;

prendre ses responsabilités ;

à ton âge ;

avoir des projets

connaître ses limites ;

arrêter de déconner ;

prendre du recul ;

devenir un vrai adulte ;

c'est une passade ;

prendre conscience ;

être sérieux ;

tu ne penses pas ce que tu dis ;

tu ne peux pas faire ça ;

tu ne peux pas dire ça ;

fais attention ;

c'est une question de principes ;

tu me prends pour qui ;

perdre ses repères ;

tu sais ce que ça implique ;

réfléchis bien ;

agir en conséquence ;

savoir ce que tu veux ;


l'âge mûr, juste avant l'âge pourri.



lundi 11 mai 2009

Renvoi

Globalement, le mois de mai n'a aucun intérêt. On voudrait faire ce qu'il nous plaît, on tomberait toujours entre deux ponts, trois RTT, celles qui accouchent, les autres qui se marient (sans oublier l'enterrement des vies de jeunes, garçons ou filles, parce qu'une fois marié, on devient vieux - c'est la définition) ; il y a ceux aussi qui, une fois reproduits, se disent que c'est toujours mieux de passer par la case baptême (ce n'est pas vraiment quelque chose de religieux mais ça permet de rassembler toute la famille) ; il y a aussi des anniversaires ; il y a aussi des déménagements.

Et tout ce monde là se dit qu'en mai, c'est l'idéal, vu justement qu'il y a les ponts, les RTT, etc., que finalement personne n'a vraiment rien à faire et, en ce sens, tout le monde est libre. Et tout ce monde se dit que vous allez être invité, puisque c'est la règle du vivre-ensemble qu'à ce genre d'événements, réguliers ou ponctuels, on invite sa famille ou ses amis.

Lui, il se dit qu'il va faire quelque chose d'original, d'un peu fou, qu'il faut savoir se lâcher, surtout devant les enfants, parce qu'après on devient trop sérieux et finalement, on perd toute crédibilité. Il se dit donc qu'il va emmener sa famille (une femme, quatre enfants, de 0 à 8 ans), celle d'un ami de longue date (une compagne - il est divorcé, pas remarié, parce qu'on ne l'aura pas deux fois - et deux enfants, de 12 et 16 ans), et un ami seul, qui est super sympa, on ne sait pas trop pourquoi il est seul, d'ailleurs ; mais c'est comme ça. Il se dit donc qu'il va profiter d'un de ces longs week-ends de mai pour emmener tout ce beau monde à la fête foraine. Pas n'importe laquelle de fête foraine : la fête foraine de province, la place du marché, les forains qui ont encore le sens de l'amusement et pas seulement celui de l'argent, les pas encore trop de bandes de jeunes un peu trop remuants, un peu trop bourrés ou un peu trop arabes, et tout le monde en a pour son compte, les petits comme les grands. Il aime bien prendre des initiatives, il a des enfants en bas âge, il est très soucieux de sa crédibilité.

(La compagne de l'ami de longue date n'en a pas encore, des enfants, et elle ne sait pas si l'ami de longue date lui en fera, même si c'est encore trop tôt - dans leur relation - pour y penser, alors elle s'extasie sur ces enfants en bas âge qui deviennent dans sa bouche des bambins, des bout'chou, des bouts d'homme. Il lui arrive même d'ébouriffer des têtes, de pincer des joues, de taper des fesses. Elle ne sait pas trop d'où ça lui vient, la compagne de l'ami de longue date, tous ces gestes automatiques, non réfléchis, non conscients ; et normaux au fond. C'est qu'elle doit l'avoir, l'instinct maternel, la compagne de l'ami de longue date, car elle veut finalement en avoir, des enfants).

Lui, il est ravi. Tout le beau monde invité et rassemblé se promène dans la fête foraine. Se promener, ça n'a rien à voir avec la marche, il n'y a pas de but à atteindre, pas d'horizon, pas de destination, juste un rythme à respecter, un rythme lent ; lancinant. La marche permet de prendre son temps, de prendre le temps d'être ensemble, de se parler, de regarder alentours, de mettre ses mains dans les poches et de balancer ses jambes, un peu comme au pas de l'oie, mais non, pas du tout et pas vraiment, parce qu'on est des humanistes et qu'on déteste les militaires. Les deux enfants de l'ami de longue date peuvent être en retrait de la troupe et se foutre de sa gueule, il l'ignore, il est ravi, il est avec ceux qui comptent pour lui et ça lui suffit. Il dore le blason de sa crédibilité.

Alors il se dit que se promener c'est bien, mais qu'il faut aussi profiter de l'essence de la fête foraine, de ce qui fait l'un peu fou de son initiative, ce qui fait son originalité : il faut savoir se lâcher et prendre part aux attractions : « Qui veut faire la chenille ? ». La troupe se rassemble et conciliabule, se concerte, donne ses sentiments et ses opinions. La femme, non, elle préfère vous regarder, elle a les petits, ça doit être trop violent pour eux. Alors lui, il se dit que sa crédibilité passe par aller demander au forain son avis, et le forain avise que les enfants de moins de 5 ans ne doivent pas monter sur ce manège, ce n'est pas que ça soit trop violent mais c'est qu'ils peuvent glisser sous la barre en fer faisant office de sécurité, c'est qu'ils peuvent se retrouver sur les rails, et, tendrement, se faire broyer par les wagons (ça il ne le dit pas, et je ne sais pas même s'il le pense, au fond).

Alors la femme restera avec les bambins, bout'chou, bouts d'homme. La compagne de l'ami de longue date fait état de son souhait de l'accompagner, mais non, car il dit qu'il faut que tous, ensemble, ils fassent cette attraction, qu'ils vont tous, ensemble, bien rigoler. Quand la compagne de l'ami de longue date accepte, c'est tout son torse qui se gonfle de sa crédibilité.

Le manège démarre, il rit, tous rient, les deux enfants de l'ami de longue date ricanent mais il l'ignore, il est ravi, il est avec ceux qui comptent pour lui et ça lui suffit. Il distille le flot de sa crédibilité à mesure que le rythme du manège s'accélère. Les corps montent, descendent, des bras se lèvent. Alors le forain passe en mode marche arrière. Il continue à rire, il se tourne, il commente, il fait des hourras, il attrape la cuisse de la compagne de l'ami de longue date qu'il a placée à côté de lui - question de crédibilité - et lui dit qu'elle ne va pas regretter d'être montée avec eux. Alors le forain accélère la cadence, les corps montent, descendent, la marche arrière remue un peu les estomacs mais il dit que ça va passer parce qu'il pense que c'est bientôt terminé, que même si le forain a le sens de l'amusement et pas seulement celui de l'argent, il ne va pas faire tourner son manège cent sept ans. C'est aussi ça la crédibilité, c'est savoir anticiper.

Mais c'est la chenille qui redémarre, et toujours en marche arrière. Alors il commence à ne plus rien dire, il commence à ne plus faire de bruit, il commence à lâcher la cuisse de la compagne de l'ami de longue date. Il hisse un peu son torse hors de la barre en fer faisant office de sécurité, il hisse un peu ses bras et fait avec ses mains le signe « temps-mort ; temps-mort ». Il espère que le forain comprenne, remette le manège en marche avant, ou même qu'il stoppe le tout. C'est aussi ça, la crédibilité, c'est savoir quand les choses amusantes ne le sont plus, c'est aussi savoir quand les choses dégénèrent et deviennent dérangeantes. La crédibilité, c'est aussi savoir poser des limites.

La crédibilité, c'est aussi devenir vert et vomir sur l'épaule de sa voisine.