mercredi 28 octobre 2009

La vie


A la télévision, il y a une femme qui est invitée au milieu d'hommes qui parlent de politique. Le présentateur lui demande son avis et la femme dit qu'elle n'a rien à dire, qu'elle laisse les hommes parler car elle, elle est l'élément féminin du débat. Alors elle ne dira rien avec son rouge à lèvres et ses mèches et sa bouche un peu coquine et ses yeux qui sentent le cul.

Sur la terrasse, il y a une table de profs qui parlent fort de leurs problèmes de profs, du genre l'emploi du temps de l'un qui est vraiment dingue et les rapports avec l'administration qui sont vraiment difficiles. Il y en a une qui porte une culotte transparente qui dépasse de son pantalon par derrière et on y voit la raie.

Dans le café, il y a une vieille qui regarde tout le monde en touchant son collier de perles et en commandant des meringues, et en faisant peut-être des remarques sur le vin en disant qu'elle connaît bien les antiquaires et que les poinçons sur les cuillères n'ont pas de secret pour elle.

Dans le bus, il y a une grappe de voix féminines derrière moi, si je me retourne je vois qu'elles sont toutes agrippées en grappe autour de la barre qu'il faut tenir pour ne pas tomber si jamais le bus freine ou s'il tourne tout simplement un peu brusquement. Il y en a une qui demande à l'autre avec sa voix de crécelle si ça-y-est elles ont déménagé au septième étage, non on est encore au cinquième et tu as vu Clémentine qui est revenue de congé maternité elle est comme ça (elle lève l'index de façon telle qu'on comprend qu'elle parle de la maigreur extrême de Clémentine).

Au cinéma, il y a deux types qui descendent les marches au milieu de la salle en faisant des poum poum poum avec leurs pieds et je regarde les casques de moto qui pendent à leurs coudes et j'entends celui qui a une veste en tweed verte et des cheveux mi-longs chauves sur le devant et collés sur la nuque dire à son copain dis-donc-l'écran-est-à-peine-plus-grand-que-chez-toi ; ce type doit avoir l'impression de conquérir l'Amérique quand il prend son assistante en levrette.

dimanche 25 octobre 2009

Images



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THE RAYMOND FEDERMAN MEMORIAL FUND FOR INNOVATIVE FICTION

Raymond's American publisher, Starcherone Books, Inc., has set up a memorial fund in Raymond's memory. Books published by Starcherone Books subsidized with money from the fund will bear the inscription, "This publication was made possible with funds from the Raymond Federman Memorial Fund for Innovative Fiction.” Starcherone Books is a 501(c)(3) non-profit and all contributions are tax deductible.


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mardi 20 octobre 2009

La femme malade

Elle hurle, elle hurle, elle hurle. Elle te bat les oreilles, elle hurle. Les tympans résistent mal, elle hurle, elle risque de te rendre fou comme ces vents de montagne si forts que tu pourrais te reposer dessus. Ouvrir les bras en croix, tourner le dos, détendre tes muscles et profiter du mouvement. Avec un peu d'appréhension, tout de même, au début : si tout s'arrête, tu te retrouverais là, la tête la première et l'équilibre vacillé. Rassure-toi pourtant, le souffle est permanent : elle hurle, elle hurle, elle utilise tous les termes que tu connais trop bien. La nuisibilité en champ lexical, elle hurle à en allumer les radios, à faire se réveiller le goût de sang en bouche. A faire se battre les pieds, en cadence, à détruire les vitrines, à y mettre les formes. La haine, si confortablement tapie dans ses organes cassés.

Depuis sa naissance, la chose est constante et régulière : elle hurle. Le caractère injuste de toute venue au monde ne semble pas allumer ses ampoules, elle hurle à en perdre patience, les yeux éructés, les yeux injectés, elle hurle, elle va et vient, elle hurle, d'une inconstance l'autre. La fureur en étendard, la fureur nourricière, la fureur qui réconforte, la fureur qui passe le temps et fait oublier, si facile, les vicissitudes d'un quotidien trop vrai dans l'absence d'innocence qui à jamais la marque, à jamais la martèle – elle hurle.

Elle hurle et les machettes ne sont pas loin, à fureter les caches des cagibis pour y trouver du grain à moudre, des ventres trop fertiles qu'on moleste, des victimes qu'on débusque – dératiser, purifier, liquider. Et toujours une raison à se mettre sous la dent, ne serait-ce que tous ces malheurs du monde eux aussi sans retour.

jeudi 8 octobre 2009

Retour au fumier

A Raymond Federman


Il fait donc désormais partie des écrivains morts. Un écrivain mort, ça vend toujours plus qu'un écrivain vivant, ça fait plein de remous, ça émeut le chaland, ça fait gonfler des poitrines, soupirer, susurrer, ah la la. Ça fait toujours mieux d'être mort, ça donne de la légitimité, ça va peut-être se rafler des prix posthumes, s'organiser des hommages, s'envoyer des invitations, carré VIP et air consterné.

En musique, j'ai voulu mettre la Suite hébraïque de Bloch, puis mes yeux se sont rabattus sur la Symphonie n°3 de Gorécki – tellement clichés finalement, tellement au-delà de ses écrits, de sa voix raillante et riante – de ces rares auteurs qui vont tellement bien une fois entendus, qui ne collent pas à leurs écrits en pollution sonore comme d'autres, trop présents pour être crédibles. Il y a eu ensuite Requiem for my friend, écrit par Preisner pour Kieślowski, mais il y a quelque chose de ridicule – non, Raymond Federman n'était pas un friend –, et puis les grandes envolées chrétiennes de Preisner, comme de Kieślowski, ce soir, me fatiguent.

Je suis athée, je l'ai toujours été, même lors de mes plus grands délires de reconversion juive, à l'adolescence, il s'agissait toujours là de meilleures histoires que celles racontées au catéchisme. Puis, finalement, rien de mieux que la mythologie grecque. La mort n'a donc jamais eu aucun sens, provoquant cette colère rentrée, ces envies silencieuses de tout envoyer valdinguer, d'hurler pour que ça ne passe pas, pour réveiller, pour vous réveiller sur l'absurdité de cette chose que vous acceptez comme un dû, parfois comme une délivrance. De ces colères qui vous font voir comme folle, ça passera, elle comprendra bien un de ces quatre qu'on ne peut rien y faire, car c'est la vie. Non, non, ça ne passe pas, non ce n'est pas la vie, non, ma vie est immortelle, délibérée, totale – on pourrait se flinguer d'ailleurs si on le désirerait. Ça serait ça la vie : une nature immortelle, et la possibilité du suicide, parce que la conscience est parfois celle d'un trop plein, et je suppose qu'après 56800 ou 12630 ans, au bout du compte, on pourrait penser qu'il est temps pour la relève.

J'ai donc échoué (ah ah) sur The Sea II, de Ketil Bjørnstad, David Darling, Jon Christensen et Terje Rypdal. C'est assez jazz pour lui, c'est assez mélancolique pour moi.

Je crois que je ne mesurerai jamais mon bonheur de l'avoir lu et connu, de son vivant.