lundi 26 novembre 2012

Clandestinité


Tous les soirs elle se couchait comme un parfait petit cadavre, en tirant les draps au plus proche de son corps, en allongeant les jambes au plus parallèle et en rangeant ses mains l'une sous l'autre sur sa poitrine. Elle tendait le cou, dégageait ses épaules et se concentrait pour faire tomber ses paupières ; le front lisse pour cette ultime attente. Ne pas déranger, être prête, demander le moins d'effort aux spécialistes chargés de la ramasser le lendemain, ou les jours suivants, selon le temps passé avant de donner l'alerte.

Toutes les nuits, elle rêvait d'opérations. D'astuces qui allaient la libérer de cette béance entre ses jambes, de cette plaie jamais refermée, jamais douloureuse, mais toujours acide, existante, impossible à oublier.

Une fois c'était une immaculée fausse-couche qui se passait mal : pour lui sauver la vie, c'était nécessaire, il fallait lui ôter tous ces organes inutiles, ceux-là mêmes qui pourrissaient sans usage comme oubliés derrière la porte d'une maison condamnée.

Parfois, c'était un accident idiot, une glissade sur des objets tranchants qui suivaient naturellement le cours de l'orifice et ravageaient, bien qu'en silence, cette architecture de chairs instables, mal conçues, terriblement en trop.

Parfois, elle fermait consciemment les écoutilles, pensait se plâtrer l'endroit, calfeutrer l'issue cul-de-sac, cet aller simple vers des entrailles pathétiquement précaires. A d'autres occasions, encore, il y avait un chien appâté par l'odeur de viande qui lui fourrait son museau là-dessous et tirait de toutes ses forces jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien à mâcher. Légère, enfin.

Mais elle se réveillait, comme tous les matins.