mardi 23 novembre 2010

Cadre

C'est au terme d'un énième métamorphose que je pense avoir compris le truc, les rideaux fermés, la subsistance en roue libre : il n'y aura pas de fin. Ce n'est même pas que l'idée rassure, non, ce n'est pas cela, c'est juste une idée qui colle, le carré qui rentre dans le bon trou et le rond pareil. Ça glisse, c'est fait pour, il n'y a pas grand-chose d'autre à chercher, et le doute te mettra en joue.

Poser une question, c'est déjà désobéir, qu'ils disaient, les hommes taillés pour écraser de leurs bottes tout le reste. Les brindilles sur le bord de la route, les feuilles mortes, le frôlement du balai sur le goudron, le danger, l'idée folle d'un pistolet tiré. De celles qui touchent du doigt l'antiphrase, car il n'y a rien à réfléchir, juste des réflexes à pousser l'un vers l'autre, attendre que l'électricité s'occupe de tout. Oui, les muscles prendront le relai, l'automatisme automatique des articulations huilées. A sa place, tout rentrera.

C'est au terme d'un terme qui n'en était pas un que j'ai cru le comprendre, l'espèce de hic essentiel, le terme qui déroule tous les autres comme d'autres construisent des murs brique après brique, mortier ciment jointure. Le mouvement : ne jamais s'arrêter si tu tombes tu meurs, encore avancer et marteler la troupe, indifférence larvée des scories – comme une évidence, ce qui ne se remarque pas s'énonce clairement.

A la fin de ces rêves encerclés en de petits ballots de paille alignés l'un vers l'autre dans un équilibre savant, disposés pour que jamais l'édifice ne s'écroule (au pire, on sentira rapidement l'odeur du brûlé demain), j'ai compris, il me semble, quel était le cœur de l'argument : ne deviens pas humain.  

lundi 22 novembre 2010

Bleu horizon

Ça leur donne une occupation, un but, une régularité. Un rythme et des habitudes, d'autres font bien pousser des plantes en pot. Ils disent : « et dire qu'il m'arrivait là il y a encore peu de temps », avec le geste de se cisailler la poitrine, et même un peu en dessous. Certaines admettent que ça a recadré leur vie, que cela leur a offert quelque-chose qui manquait, comblé un vide, les ritournelles. Une véritable école de la maturité, des responsabilités, ne plus se dire seul, plus jamais, une sorte de malédiction, une merde qui ne cesserait jamais de coller, et même qu'on pourrait en remplir des bidons et se fourrer la tête dedans, pour voir si on est encore capable d'y faire des bulles.

A leurs pieds des morceaux de chair, des lambeaux liquides, mous, flottant dans un bain de lait, de sperme et de sang, tirés à demeure, difficilement. Un peu comme une mauvaise blague élimée mais à laquelle tout le monde souhaite encore rire, par politesse.

Le clair de lune pour unique réverbère, l'espoir en moins.  

mercredi 3 novembre 2010

Champignon

Ce n'est pas dans le cœur, que ça se passe, s'il fallait le situer quelque-part, ça serait plutôt dans la peau du crâne, à l'intérieur, quelque-chose qui pousse, qui n'a pas suffisamment de place, qui serait assise au milieu d'une grande pièce, la nuque pliée, douloureuse, acide, et pleine de regards tout autour, du haut, rivetés, comme des néons mal réglés, des mouches à l'agonie sur le dos, qui tournent, tentent de se débattre et n'ont certainement pas une quelconque conscience de l'absurde et du pilote automatique qui se met en marche, la bouche qui se ferme, les yeux clos, cousus, collés. L'écho étouffé des cadavres dans lesquels on s'enfonce, les deux pieds devant, les deux pieds dedans, la chair est trop molle, liquide, de plusieurs jours et de plusieurs mois de décomposition. On s'y essuie le dessous des chaussures, on le souligne, râpé, cloué, crocheté.

Trop en avaler à se déchirer la bouche, la mâchoire qui crie à l'aide, poussée, frottée, écartelée : sectionner en de nombreux petits bouts et en de nombreux endroits, faire en sorte que tout explose dès qu'on la tire même de nulle part, que tout s'effondre et qu'on en parle plus. Déblayé, rangé, casé, et il y en a beaucoup (un une plusieurs) à juger, estimer, soupeser, classer, avoir la bonne réponse à la bonne place, toujours au singulier, les tiroirs tirés, glissés, définis, le mot qu'il faut, le moment t, l'engrenage.

L'huile, en quelque sorte, celle qui fait coulisser les gonds des portes d'armoires.