Tous les soirs elle se couchait comme
un parfait petit cadavre, en tirant les draps au plus proche de son
corps, en allongeant les jambes au plus parallèle et en rangeant ses
mains l'une sous l'autre sur sa poitrine. Elle tendait le cou,
dégageait ses épaules et se concentrait pour faire tomber ses
paupières ; le front lisse pour cette ultime attente. Ne pas
déranger, être prête, demander le moins d'effort aux spécialistes
chargés de la ramasser le lendemain, ou les jours suivants, selon le
temps passé avant de donner l'alerte.
Toutes les nuits, elle rêvait
d'opérations. D'astuces qui allaient la libérer de cette béance
entre ses jambes, de cette plaie jamais refermée, jamais
douloureuse, mais toujours acide, existante, impossible à oublier.
Une fois c'était une immaculée
fausse-couche qui se passait mal : pour lui sauver la vie,
c'était nécessaire, il fallait lui ôter tous ces organes inutiles,
ceux-là mêmes qui pourrissaient sans usage comme oubliés derrière
la porte d'une maison condamnée.
Parfois, c'était un accident idiot,
une glissade sur des objets tranchants qui suivaient naturellement le
cours de l'orifice et ravageaient, bien qu'en silence, cette
architecture de chairs instables, mal conçues, terriblement en trop.
Parfois, elle fermait consciemment les
écoutilles, pensait se plâtrer l'endroit, calfeutrer l'issue
cul-de-sac, cet aller simple vers des entrailles pathétiquement
précaires. A d'autres occasions, encore, il y avait un chien appâté
par l'odeur de viande qui lui fourrait son museau là-dessous et
tirait de toutes ses forces jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien à
mâcher. Légère, enfin.
Mais elle se réveillait, comme tous
les matins.