lundi 26 novembre 2012

Clandestinité


Tous les soirs elle se couchait comme un parfait petit cadavre, en tirant les draps au plus proche de son corps, en allongeant les jambes au plus parallèle et en rangeant ses mains l'une sous l'autre sur sa poitrine. Elle tendait le cou, dégageait ses épaules et se concentrait pour faire tomber ses paupières ; le front lisse pour cette ultime attente. Ne pas déranger, être prête, demander le moins d'effort aux spécialistes chargés de la ramasser le lendemain, ou les jours suivants, selon le temps passé avant de donner l'alerte.

Toutes les nuits, elle rêvait d'opérations. D'astuces qui allaient la libérer de cette béance entre ses jambes, de cette plaie jamais refermée, jamais douloureuse, mais toujours acide, existante, impossible à oublier.

Une fois c'était une immaculée fausse-couche qui se passait mal : pour lui sauver la vie, c'était nécessaire, il fallait lui ôter tous ces organes inutiles, ceux-là mêmes qui pourrissaient sans usage comme oubliés derrière la porte d'une maison condamnée.

Parfois, c'était un accident idiot, une glissade sur des objets tranchants qui suivaient naturellement le cours de l'orifice et ravageaient, bien qu'en silence, cette architecture de chairs instables, mal conçues, terriblement en trop.

Parfois, elle fermait consciemment les écoutilles, pensait se plâtrer l'endroit, calfeutrer l'issue cul-de-sac, cet aller simple vers des entrailles pathétiquement précaires. A d'autres occasions, encore, il y avait un chien appâté par l'odeur de viande qui lui fourrait son museau là-dessous et tirait de toutes ses forces jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien à mâcher. Légère, enfin.

Mais elle se réveillait, comme tous les matins.  

samedi 15 septembre 2012

L'actualité


On la comprend, quand même, l'humanité, à s'inventer régulièrement des histoires de fin du monde.

C'est que c'est agréable – rassurant – cette idée que, d'un coup d'un seul, les milliards de connards à peine descendus de l'arbre qui composent notre espèce soient dans l'obligation, subite, de bien fermer leur gueule.

Sans possibilité d'excuse.

Sans retour en arrière.

Sans je ne savais pas pardon c'est lui qui m'a traité en premier, sans éventualité d'apprentissage, sans leçon potentielle et même sans risque de faire pire (la prochaine fois).

Juste un trop plein et on arrête. Point. Rideau. Couvercle.

Au silence éternel les excités du bulbe, les piles thymiques, les branchés sur secteur pour qui la moindre scorie de résidu d'absurdité est un prétexte à se taper sur le torse, à montrer les dents, à tendre les poings et à hurler bien fort l'issue inespérée d'un épais ennui.

En regardant les cartes s'enflammer de petites étoiles furibardes, je pense aussi à ceux qui, titillés dans leur torpeur hypercalorique, s'imaginent réjouis qu'il se passe là quelque-chose. Enfin, persiflent-ils entre leurs lèvres, et en pressant fort sur leurs yeux pour se donner l'air redoutable.

mercredi 12 septembre 2012

Canalisations


Bruisser, chuchoter, passer le flambeau. La flippe des primates qui veulent se réchauffer et se créent de petites impostures à s'échanger à la veillée. Des trucs pas vraiment vrais, des faits pas vraiment vérifiables, mais des petites tapes sur le dos qui prouvent que tu en es. Des signaux, des accointances, au-dessous encore du niveau du non-dit.

Il n'y a rien de bon dans leurs mots qui dégorgent d'ennui, qui flottent de cette crainte d'être oublié et de sortir du cadre où la vue se doit de n'être absolument pas floue. Occuper l'espace et resserrer les rangs et épuiser l'oxygène et condamner n'importe quelle possibilité d'une issue de secours. Il faut poser sa marque. Il faut pisser sur les réverbères. Il faut barbeler la plate-bande.

La personne que tu as toujours été, celle que tu feins d'être devenue, j'aimerais lui arracher la langue. Lui faire cracher ses calculs minuscules, ses intérêts mesquins, ses obligations à l'existence fantasmagorique et exposer ses mensonges comme on écorche un cadavre – la faire trébucher quand tout ce qui lui importe, c'est de placer ses pions et d'échantillonner, bien savamment, ses chasses aux sorcières.

Soupeser l'opportun.
Souscrire au subsidiaire.
Et soulever les sourcils.

dimanche 15 juillet 2012

Couvre-lit


A partir de quand sait-on qu'on ne verra jamais l'Amazonie ? Les moussons, la Sibérie, le Pôle Sud ? Quand a-t-on la certitude qu'un trajet sera le dernier ? Qu'on ne rentrera plus chez, qu'on n'ira plus là ? Que les choses entendues, les odeurs, les surprises n'auront maintenant aucune répétition ? Est-il possible de garantir à l'avance et de manière infaillible qu'on n'apercevra plus un sourire, qu'il faut désormais s'évertuer à se l'imprimer sur la rétine parce c'est tout ce qui restera ? Les souvenirs, surtout ceux qu'on veut balayer, surtout les infaisables. Ceux qui résistent, ceux qui se chassent.

Peut-on se faire un tampon, une marque, cocher une case désormais c'est terminé ? Est-ce que cela calme, est-ce que cela remédie ? L'anticipation est-elle utile, profitable ?

Les gens aiment bien avoir des objets, des tickets, les mettre dans un coin précis pour ne plus y toucher même s'ils savent que tout est là. Et puis ça fait beaucoup de drames quand les reliques disparaissent. Le plus souvent c'est un accident, c'est par hasard : on oublie un robinet, un mégot, une fenêtre ouverte avec un gros courant d'air. Pas facile de prévoir, non, toujours pas.

Je n'ai pas été câblée pour concevoir l’irréversible. Je sens bien que ça me rend zinzin.

vendredi 27 avril 2012

La pancarte


Ils donnent des prénoms rigolos à leurs premiers-nés, comme une garantie pièces et main-d’œuvre qui les déroutera du conformisme. Sauf qu'ils se trompent, évidemment.

Ils mettent plein de couleurs dans leurs cuisines, ils se vitaminent le quotidien à coup d’œil soucieux et sévère sur le nuancier. Et s'ils commettaient un impair ? Ils le feront toujours.

Ils passent et repassent et repassent encore en revue les différents composants de leurs biscottes. L'alimentation, c'est le premier des médicaments. Ce que tu mets en toi – fais attention. Ils crèveront de ces maladies inhérentes à la volonté de vivre vieux, mais sans en avoir conscience, c'est l'essentiel.

Ils se payent de mots, ils répètent et ressassent et piapiatent et caquettent. Il y en aura, heureusement, toujours un pour vouloir rire plus fort, comme imbu et gonflé d'une nécessité d'imposer (d'en haut) leur respiration. Le fou du roi, le rouage, l'amalgame qui les empêchera de partir au tout-à-l'égout. 

Ils ont des existences tellement bien remplies, gavées, d'injonctions qu'ils se créent pour eux-mêmes, d'habitudes rythmées qui habillent leur ennui. Le sol saigne sous leurs chaussures cirées, ils se détournent. Ils n'ont rien vu.

Ils bordent et tapotent, s'huilent les cheveux de substances magiques, s'observent dans les vitrines et se remontent le col. Expliquant, tu comprends, que l'idée que se font les autres de toi est aussi importante que celle que tu as de toi-même. Ne va pas leur répondre que tu n'en as pas, ils pourraient te mettre sous verre, des petites épingles dans les bras.


Un matin, alors que l'humidité ramollira même les pierres, ces siècles qu'il fallait encore attendre pour voir le monde se transformer en slogan publicitaire se seront écoulés. On est en plein dedans.

jeudi 15 mars 2012

Les étourneaux

Ils doivent avoir les gencives qui piquent du goût du sang à force de le répéter : « le conflit, c'est la vie ». A force de le siffler ils doivent avoir la langue qui transpire, un peu ajourée, un peu tremblante. On joue à se faire peur, on gonfle les marmites et on met des boîtes de côté et des plats qu'ils empilent. On regarde le filament d'alcool bleu qui grimpe, petit à petit à petit, on ne ferme pas les yeux, on ne veut rien manquer.

Ils se frottent les mains et font de la farine. Ça les amuse certainement, et sûrement ça les occupe. En vrai, ils n'ont pas envie de faire de mal aux mouches, ou juste en cachette, ou juste en coup de vent, pour voir comment ça passe. Comme avant quand on broyait sans y toucher les bestioles parce que c'était possible, parce qu'elles rampaient par là, parce qu'il y avait toujours ces picotements dans les dents et de l'électricité dans l'air. La fameuse saveur de l'indéfendable, ça te pose.

Les minuscules bonheurs cachés devant sa bouche en souriant en coin, le regard tragiquement vide. Cette idiotie crasse des joues molles qu'à peine l'entrevue d'une prise de gueule agite, comme deux petits monstres de Frankenstein branchés sur secteur.

On oublie les trottoirs noyés sous les entrailles, les cris se cognant en écho sur les troncs des bouleaux, le souffle froid sur les pierres : plus personne ne l'entend. On oublie tout ça, on oublie, ça sera pour la prochaine.

Ne sois pas si pusillanime.