samedi 25 avril 2009

Balancelle

Il lui prend la main, le bras, il l’embrasse, il fait descendre sa main et il remonte, il frotte, comme un essuie-glace. Il la tient, elle fait mine de se retirer, et non, elle ne veut pas qu’il la tienne parce qu’elle fait la gueule et qu’elle boude, et qu’elle fait tout pour lui montrer, et qu’elle le montre aussi à tout le monde, tant qu’à faire, que ça ne se passera pas comme ça, parce qu’il a regardé passer la fille aux jambes nues, qu’il ne s’est même pas gêné pour tourner la tête, qu’il la suivie du regard, et que c’est plus qu’elle ne peut en supporter.

Elle lui demande des comptes, et elle pleure, et elle se pose des questions, au fond : est-ce qu’elle peut vraiment encore lui faire confiance ? est-ce que ça va recommencer ? est-ce que, comme ça, il va encore tout foutre en l’air ? est-ce qu’il ne peut pas grandir ? est-ce qu’il ne peut pas, merde, mûrir ? est-ce qu’il ne peut pas prendre conscience qu’il la fait souffrir et reconnaître tout ce qu’elle a sacrifié pour lui ? Toute cette ingratitude, qui s’étale, elle pourrait en beurrer des tartines.

Elle a d’abord dit : tu veux que je t’aide ? (il a un peu souri)

Moi, ça ne me fait pas du tout rigoler, tu me dégoûtes, j’en ai marre (elle a dit ensuite).

Elle parle fort et des têtes se retournent, c’est un réflexe, comme les suricates, ce n’est pas de notre faute, ce n’est pas comme si, tous les jours, la vie d’inconnus étaient déversées devant nous, comme ça, sans raison, sans qu’on ne demande rien à personne, et que ça nous gêne, au fond. Parce qu’on en ressent, de l’empathie, de la vraie, de la bonne bien faite. La voici, la race ! La race des peaux grasses, la race des cheveux plats, la race des chairs froides, de la tendresse et des marques d’affection. Des automates en concile qui portent des sacs à dos, qui chuchotent et qui téléphonent.

Pendant un moment, elle n’a plus rien dit, emmurée, elle était.

Alors il a commencé à la tenir, il a commencé à se rapprocher d’elle, il a commencé à la rassurer, à faire l’essuie-glace, à lui prendre les genoux, à tenter d’engouffrer sa tête sous son menton et la regarder d’en dessous. Il a essuyé son visage et ses larmes avec un pouce qui me paraît sale, d’ici.

Alors il lui a dit d’arrêter, il lui a dit de se calmer, il lui a dit qu’il l’aime, dans son oreille, il a soufflé le souffle sec des après-midi.

C’est qu’il voudrait que ça passe vite parce que le trajet n’est pas si long. Qu’il doit encore retrouver la fille aux jambes nues et la tringler dans les chiottes. Ou, du moins, essayer.





mardi 21 avril 2009

Cartoon

1ère vision : Il est blond, enfin, décoloré. Les cheveux en crête sur la tête, c'est mon collègue de travail. Cet après-midi, il a raconté au Portugais, l'autre collègue de travail qui décore le bureau en face du mien, comment sa petite copine est tombée sur le SMS compromettant d'une ex. Trop chaud, il a eu.

2ème vision : La petite copine est là, ce soir. Elle est enceinte, elle a 18 ans parce qu'elle voulait un enfant rapidement. Des cheveux et des mèches multicolores (elle s'y connaît, elle est coiffeuse, d'ailleurs, elle coiffe aussi son petit copain décoloré). Une face de hamster mort qui s'esclaffe : Ya pas à chier, ça sent le pâté.

3ème vision : Le chef. Le patron. Lui, le centre. L'organisateur du dîner d'entreprise de Noël (ça permet de se détendre un peu, et les gens se laissent aller, et se connaissent mieux. Et au final, c'est l'atmosphère de travail qui gagne) prend la parole et, fièrement, déclare que si l'année dernière nous étions 11, cette année, nous sommes 37. Les choses avancent. Ils applaudissent.

4ème vision : Des coquilles St-Jacques, qui baignent, dans leur jus. J'allume une cigarette mais la maîtresse de maison, la patronne du restaurant, l'amie de cour d'école de la femme du patron, elle ne veut pas, qu'on fume. Enfin, pas dans la salle, et c'est en raison de la santé du personnel. Alors il faut aller au bar, mais le personnel y passe aussi. Tant pis.

5ème vision : Je suis assise à côté de l'adjoint au chef (le sous-chef). Dans l'ancien temps, il aurait pu se faire enculer par le patron. Mais aujourd'hui, il a amené sa femme, et son père. Une momie sans âge, chiante comme une plante verte et un sénile qui me demande ce que je pense de Ricet Barrier. Si je ne connais pas (son fils dit : quelle honte !), et ben je devrais, parce que c'est vachement bien.

6ème vision : Il dénoue sa cravate. Il entrouvre sa chemise. Il rougit, il rit grassement, il a bu. Il se dit qu'il doit être au même niveau que ses salariés. Ca lui plaît.

7ème vision : C'est le technicien de service. Enfin, l'ingénieur-technico-commercial. Depuis quelques jours, il est passé cadre, il est fier mais n'a personne avec qui le fêter. C'est un puceau et son père vient de crever. Il se dit que ce soir, il peut se lâcher, et sa bouche lippue de semi-trisomique avale alors les kirs, les verres de mousseux, les pichets de vin trop frais, et trop dégueulasse. Il s'endormira dans son vomi et, le lendemain, retrouvera sa voiture. Sa mère se fera du souci.

8ème vision : Le nougat glacé fond. La petite copine enceinte est assise sur les genoux du Portugais. Je bois encore un coup, histoire d'effacer ces instants de ma mémoire.

Malheureusement, les souvenirs ont la vie dure.

Quadrige

On les appelle les amis du vendredi. On les appelle ainsi parce que ce sont des amis qui se retrouvent le vendredi, qui sortent le vendredi, qui profitent du vendredi comme premier jour du week-end, comme veille d'un jour où ils ne travaillent pas pour se retrouver.

Les amis du vendredi peuvent se retrouver chez l'un des amis, auquel cas il faut faire les courses du vendredi, on peut faire ces courses entre amis du vendredi, ce qui revient à considérer l'épisode magasin, grande surface, monoprix, supérette comme un prélude à la soirée entre amis du vendredi.

Auquel cas, on se partage les tâches : Clémence va au rayon boissons et pense à acheter du coca avec sucre car le coca sans sucre est dégueulasse avec le whisky ; Julien, ou Juju, s'occupe des biscuits apéritifs et n'oublie pas de ne pas prendre de guacamole car Clémence est allergique à l'avocat et a tout gerbé, avec les petits bouts de tortilla chips pas bien mâchées lors de précédentes retrouvailles du vendredi ; Maxence - que tout le monde appelle Teddy - est celui qui tient les comptes, il fait les divisions du ticket de caisse et demande à chacun de participer à hauteur de ses moyens, mais ce serait tout de même mieux si chacun donnait la même chose car comme ça on s'y retrouve ; Isabelle vient de se faire méchamment larguer la semaine dernière par un Italien rencontré le mois dernier lors du cours de salsa - je crois qu'il avait peur de s'engager - et zone un peu dans les allées même si sa mission c'est les bonbons, bonbecs, chamallows parce que le sucre s'avale sans faim - mais donne soif - et parce que ce n'est pas parce qu'on a 30 ans et des enfants et des mariages ou de sales histoires compliquées merde je ne sors qu'avec des cons (Isabelle) qu'on va faire nos vieux et s'acheter des desserts comme par exemple : des tartes.

Avant de se retrouver à la caisse du magasin, grande surface, monoprix, supérette, les amis du vendredi peuvent se retrouver par hasard entre les rayons, rire, se pousser parce qu'on n'a pas non plus toute la soirée, et dire des trucs drôles tels que : « On prend des préservatifs ? », merde pas devant Isa vous êtes vraiment trop cons les mecs. Quand les amis du vendredi se retrouvent chez l'un des amis, ils choisissent en général celui qui n'a pas d'enfant ou de mari, ou chez celui qui peut faire garder ses enfants ou envoyer sa femme chez sa mère, car c'est bien de se retrouver entre nous, car les amis du vendredi sont souvent des amis de longue date, des amis de lycée (Clémence et Teddy eux, se connaissent même depuis le collège) et Isa, Clémence l'a rencontrée à la fac, à Censier - putain qu'est-ce qu'on a pu faire comme conneries.

Les amis du vendredi peuvent se retrouver au restaurant. Auquel cas on choisit un restaurant central, c'est-à-dire pas trop éloigné des domiciles de chacun. Mathilde est arrivée la première, car c'est elle qui a réservé la table dans un restaurant éthiopien qu'elle adore et parce qu'elle connaît le chef, en plus. Il ne lui a pas fallu attendre longtemps pour voir sa copine Léa débarquer (en vrai, elle se nomme Léonor), elle souffle un peu car la nounou a eu 1/4 d'heure de retard mais bon, l'essentiel, c'est que tu sois là. Pour Jérôme, qui est grand, et beau, et porte une chemisette avec une cravate, c'est dix minutes plus tard, il a son téléphone portable contre son oreille et met ses lunettes de soleil sur sa tête ; il dit : « Ne vous en faites pas pour Alex, il a dit qu'il nous rejoindrait après le boulot ».

Les amis du vendredi ne commandent pas d'apéritif mais un pichet de vin qu'ils renouvelleront une fois au cours du repas - la vache, c'est un peu épicé quand même. Alex arrivera et les amis du vendredi se placeront fille contre fille (sur la banquette) et garçon contre garçon (sur les chaises). Ils font tchin avec leurs verres et parlent tout haut, les filles rient aux éclats et deux fois Léa se lève pour aller téléphoner et Mathilde explique que sa dernière a eu une bronchiolite et qu'ils ont du appeler SOS médecins à 1h du matin. Alex fait remarquer qu'il y a trois ans, si quelqu'un lui avait dit que Léa deviendrait mère de famille, il aurait bien rigolé. Jérôme dit que les temps changent et que les gens changent et que tous ils vieillissent et qu'ils prennent des responsabilités, mais en même temps c'est normal, et c'est même un peu bien ; Mathilde dit que ça lui fait quand même un peu peur, et au moment de l'addition, tous se mettent à discuter avec le chef qui vient à leur table et qui dit que s'il avait eu le droit de vote, il aurait voté Bayrou : aujourd'hui ce n'est plus possible et c'est bien ce qu'il a fait ce type à vouloir rassembler au lieu de diviser.

Je pense qu'ils ont tous plus ou moins couché ensemble, même si l'idée d'une partouze ne leur viendrait jamais à l'idée - c'est un peu dégueulasse -, qu'ils font tourner la sauce sans s'en rendre vraiment compte et même souvent ils ne s'en souviennent plus trop. Je pense qu'ils se racontent leurs vies et que tout le monde s'en fout, mais que sans cela ils se sentiraient terriblement seuls.

mercredi 15 avril 2009

Monumenta

- Il reste du Jet 27 ? Ou du Manzana ?

- Nan, que de la Marie Brizard et je vais vous encaisser les chéris.

- Putain, je dois me lever à 6h demain, j'ai un cours à préparer, vraiment, faut que j'y aille.

- Combien tu me donnes ?

- 26, 27, en tous cas pas plus de 27.

- Ben j'ai 31.

- Il arrive à la machine à café : j'allais quand même pas m'lever pour lui faire la bise ? Alors il vient vers moi et m'dit : tu fais la gueule ? Ben non, donc je me lève, tu vois. Mais tu te rends compte ? Les mecs c'est quand même hyper susceptible !

- En tous cas j'me sens en accord avec moi-même, j'ai pas de problème.

- Faut que j'essaye de marcher droit.

- Et roule droit surtout !

(imaginer, quelques secondes, deux trois tonneaux direction Créteil et un pare-brise en sang)

- T'avales tout comme ça toi ?

- Nan, moi j'aspire, je res-pire.

- Mais c'est pire !

- Fallait y aller franco si tu voulais coucher avec elle.

- Tu parles pas beaucoup mais quand tu l'ouvres, c'est pour dire que des conneries.

- Ouais, que de la gueule.

- Rosa, rosa... rosas ? Y'avait pas un truc en - us ? Rah nan mais j'confonds avec dominus.

- Je connais un truc en - us, si tu le mouilles un peu, ça glisse.

rires, hoquet, bruits de cochon dans le nez, grands pans de béton armé, mégots, tournesols et tessons de bouteille dans la gorge.

Attente d'un taxi en retard puisqu'il pleut : délaisser les grands axes et prendre les routes parallèles. Ta peau m'appelle imprudemment et je ne crains désormais plus rien. Le reste : peanuts.

Ding Dong

C'est comme si ça pouvait se calmer. Se mettre entre parenthèses, dans la poche, sous le paillasson. Pour un moment du moins, quelques heures tout au plus. S'anesthésier.

J'aimerais, cela dit. Parce que j'ai bien fait « chut » pour ne pas ruiner totalement d'un fou rire si cynique la cérémonie. Même si le maire s'est dit que ça serait une bonne idée de citer du Francis Cabrel là, maintenant, au milieu des briques et des mines déconfites des lignées consanguines (mais en habit). De même, à la remise du livret de famille, il s'est dit que ça serait une bonne idée d'offrir un livret de recettes de cuisine flamande, il s'est dit que ça serait une bonne idée de faire une blague, rapidement, comme ça, demander si c'est monsieur ou madame qui fait la cuisine - ah, bon, les deux ? -, il s'est dit que ça serait une bonne idée de montrer qu'on a beau se trouver dans un patelin perdu au ciel aussi bas que les fronts de l'assistance, on n'en est pas pour autant un ramassis d'arriérés phallocrates.

Faire bonne figure, se lâcher un peu, et profiter, et allez au diable car je vous déteste tous - c'était certainement un peu facile, et immature aussi, surtout avec 6 heures de bagnole dans les jambes, sous la pluie et les briques et la boue. Prendre toute expérience comme document, ça occupe de prendre des notes et permet aussi de faire passer la pilule.

Et tu chantes, chantes, chantes, ce refrain qui te plaît, et tu tapes, tapes, tapes, c'est ta façon d'aimer.

Il y a les lumières qui clignotent, qui tournent, plusieurs couleurs et des va-et-vient en rythme. Il y a les vieux qui ont pris des cours de danse de salon et qui dansent, et qui dansent toujours une sorte de danse rock bâtarde, parce qu'il ne savent pas danser autre chose, mais parce qu'ils veulent tout de même danser. Parce qu'ils veulent tout de même se fondre dans la foule et retrouver l'instinct adolescent du troupeau. C'est la convergence des catastrophes. Olé.
Il y a les sandales à talon de 3 cm, parce que c'est la fête et que la féminité festive passe par le port de chaussures à talons, mais pas trop hauts, il faut tout de même être à l'aise.
Il y a les camarades de corpo finis à la bière, les projections Windows Movie Maker (ce qui serait bien, c'est de faire défiler côte à côte les photos du couple, avec la musique d'Amicalement vôtre), les chansons détournées « et faites-nous un beau bébé », les discours, les étiquettes de champagne personnalisées (ça se garde), la déferlante d'émotion qu'on pourrait en graver des arbres et faire pleurer dans les chaumières tellement ça dégouline de nostalgie.

Il y a que tout est tellement triste, à commencer par la vie de ce Dj trônant sur le haut de sa scène comme un crâne trônerait en haut d'une pile à se faire picorer les orbites par des corbeaux.

Il n'y a pas à supporter le passé. Il n'y a pas à thésauriser sa mémoire. Le passé est forcément un échec, sinon, ce n'est même plus la peine de vivre. Car il n'y a aucune raison d'aimer les gens pour les souvenirs qu'on a d'eux.

mardi 14 avril 2009

Sous-entendu

Il ne faut pas critiquer les religions, dit-elle. Non il ne faut pas, il ne faut pas se moquer des gens, il ne faut pas leur faire de mal, il ne faut pas les prendre de haut, et il faut savoir vérifier ses sources. Ses yeux sortent de ses orbites, son front devient chaud, elle s'éponge, elle s'évente. Elle raconte qu'on lui a ôté la thyroïde mais qu'elle ne le voulait pas, elle se dit déréglée, elle a chaud, elle a froid. Elle passe du coq à l'âne, un peu comme dans sa conversation qui s'offusque à mesure que son cou se tend et craquelle de son manque de vernis. Elle explique d'ailleurs que les omoplates doivent se dire bonjour si l'on veut se tenir droit ; elle roule ses yeux, ses yeux sortent, ses yeux exorbités de femme malade, ses cheveux en crin lisse, lissés, huileux. Des tonnes de beurre à s'enfourner chaque matin, une discipline de plus comme d'autres se vident, consciencieusement, pour que la journée passe plus vite, faite de petits rituels, à répéter l'un après l'autre, sans se demander pourquoi.

Non, il ne faut pas critiquer les religions dit-elle, et l'autre opine de la tête, les yeux dix fois plus révulsés, le visage maigre et le nez remontant. C'est que la spiritualité, sans ça, on n'est pas grand chose, ajoute-t-elle et précision faite elle vient de passer six mois en Inde, elle raconte, c'est son tour, elle fumait du matin au soir, oui les Indiens s'y mettent, c'est dommage, avant ils gardaient ça pour les touristes, et cette ambiance, si animale, sauvage, l'énergie, partout, ça te ferait presque trébucher tellement c'est fort, et les gens, en lien direct avec le ciel mais aussi très terre à terre, le geste joint à la parole, de haut en bas, elle lève le menton et ses yeux pourraient tomber à la renverse.

Georges, Georges, dit la malade, oui Georges est mon mari, mais il a honte de moi - oh elle dit ça c'est pour rire, rassurez-vous, c'est juste qu'ils sortent souvent séparés et que Georges a pour habitude de taire son existence, Georges, hein Georges, oui, ne mens pas, je le sais. Et Georges le jovial à la peau violacée qui rit de la gorge, regardant l'autre du coin des yeux dans l'espoir qu'elle ne trahisse pas ce qu'elle sait. Il y en aurait tant à recoudre, sur le chemin du retour, entre deux pauses pipi sur l'autoroute, alors histoire de détourner l'attention, se contenter d'embrayer sur le massage ayurvédique aux huiles chaudes ou encore l'ayahuasca, oulala, c'est que j'en ai pris pas mal quand j'étais au Brésil.

Les gens de trente ans ne parlent de rien, ils parlent de leur vie, et le lapin qu'on dépèce, on l'entend déjà moins.

mardi 7 avril 2009

Friable

Un air de déjà-vu dans celui-là. Du genre : absolument remplaçable par peu ou prou n'importe quoi. Un comptable, un chargé d'études dans un cabinet de recrutement. Du genre aussi à faire du zèle pour ramasser du sens à sa vie façon petite cuillère. L'existence bien réglée sans en avoir l'air, d'y toucher. Une douche en rentrant du boulot, les nouvelles en cornets de frites, les week-ends : faire des breaks et penser enfin à soi.

On va te la scotcher, ta gueule.

Il pouvait s'en rendre compte, sans qu'il n'y ait rien de dramatique là-dedans, que tous les lundis il faisait ses courses et tous les dimanches l'enduisait d'huile. Le quotidien à la rescousse, un peu, sauvage, en entrée de gamme, plutôt pas mal la réussite de vie. Il faisait. Il en faisait des tartines de choses à faire. Faire, faire, faire, encore un peu plus tellement que ça l'occupait, au fond.

Tu vois.

Quatre ou cinq cellules primitives auraient suffi à faire l'affaire. Emballé, sous-pesé, emmailloté même, vu qu'il n'y allait pas par quatre chemins. Du lourd, qu'il disait, du très très lourd en absorbant régulièrement, à l'aise, des doses significatives de carbone. Ça pouvait donner aussi de l'onomatopée soufflante, histoire de résumer rapidement les situations. Il pouvait très bien avoir des commentaires sous cloche, à raturer au stylo bic bleu, mettre sa trace, envoyer des perches, attendre que ça remonte et s'étonner du vide. A force de s'être ouvert.



vendredi 3 avril 2009

Nihiliste

Arrêter de croire. Sans avoir jamais commencé d'ailleurs. C'est la phrase « quoique tu en dises » ou « tu ne peux pas dire ça ». Ça se répète que les symboles, au fond, n'ont jamais tué personne. Qu'un rituel ou deux, finalement, qui n'en a pas besoin ; et ça suspend la voix pour bien te faire comprendre, appuyer, souligner, minimiser le plus possible l'éventualité d'une cervelle qui s'échappe. La faire se tenir droite et serrée sur sa chaise. Attention et concentration.

Il y a d'autres moyens d'y arriver aussi. Par exemple argumenter l'universel. Le bien, le mal, les opposés, les causalités, le vrai et le faux. Enfoncer encore, grossir le trait.

Processus de défense en complot, en doute. Articuler distinctement, mettre les virgules là où il faut, cadrer et prévenir. La simplification en idéologie pourrait aussi fonctionner : on peut toujours faire plus simple. L'ambiguïté est un luxe que peu de gens peuvent se permettre – ça tu le sais.

S'abstenir de repères comme on te crucifierait la gueule. A coups de marteaux sur ta porte, et que ça dégouline encore un peu. Histoire de tout parer.

Si ça ne marche toujours pas, joue les larmes, l'indisposition, tu t'offusques, appuie sur la poitrine pour montrer où ça fait mal. Courbe un peu le dos et relève les yeux.

L'humilité a toujours payé, à commencer par l'épouillage.

jeudi 2 avril 2009

Description

Il sentait l’eau de Cologne, enfin cette sorte de parfum hyper fort du genre bombe à chiottes ou senteur de voiture. J’avais l’estomac vide et juste envie de lui vomir ma bile sur le coin du crâne sur lequel je voyais, de dos et un peu plus bas, cette manière de boursouflure en-dehors de l’oreille. Il avait des cheveux noirs plaqués, certainement coiffés dans son esprit pour ne pas ressembler à un as de pique. Il y avait mis quelque chose de collant dessus, de la gomina de l’ancien temps ou du gel, ou certainement aussi un peu de crasse mais je n’en savais rien. J’étais là à juger et à dévisager sans être vue, je ne m’imaginais rien sur sa vie puisque la vie que je lui imaginais était prompte à l’envoyer dans le décor pour de bon et sans machine arrière.

Il a sorti son téléphone qui sonnait et il l’a regardé un moment – décroche ou décroche pas, décroche connard ou coupe au moins cette sonnerie débile qui n’a d’équivalent que la puanteur que tu dégages et que tu prends pour un signe extérieur de séduction. Mais tu pues mon gars, ta boursouflure d’oreille pue, tes cheveux noirs de gras puent, ta parka bleu marine au col relevé et cravate dessous puent tellement que ça en devient étonnant que l’odeur ne te réveille pas quand tu dors.

Il a parlé je ne sais pas, il a dit un truc du genre « tu ne peux pas la manquer, c’est juste au milieu de la place ». Alors quoi dans ta tête des trucs aussi cons du genre « tu ne peux pas la manquer, c’est juste au milieu de la place » et ça sort de ta bouche et ça fait du bruit, et ça hésite pour arrêter la sonnerie, et ça ne s’auto absorbe pas toute cette pollution automatiquement tellement en trop.

Il faisait des mimiques de dos et je pouvais les apercevoir. Il décrivait les méandres et les feux à compter, les « ne t’embêtes pas l’important c’est que tu sois là » bien palpables avec toute l’ironie de tes pantoufles en mérinos qui importunent le monde.

Du grand n’importe quoi.