samedi 27 février 2010

Tendinite

Des grenouilles bien rangées dans des bidons de formol, sur des étagères en verre. Les peaux épaissies et blanchies, les yeux vitreux, les bras ouverts dans un dernier appel à l'aide. Ils avancent, côte à côte, font balancer leurs mains, soufflent, s'étirent et sautillent. Gonflés d'orgueil comme des chats noyés, si fiers d'être là si tôt, de fêter à leur façon le rallongement des jours, le tiédissement du ciel, les yeux qu'on commence à plisser des matins réchauffés, les odeurs qui explosent et l'herbe qui pousse.

Il faut se motiver oui, sortir de sa tanière, se décrasser les pores et détoxiquer son foie, vivre sainement dans un esprit sain sans être contre un chocolat en terrasse – le fond de l'air est encore frais, elle va garder son manteau.

Ils regardent les nuages et y voient des visages, ils rient s'esclaffent mettent la main devant leurs bouches. Croquent la vie à pleines dents et laissent l'acide aux bêtes, qu'ils écraseront nonchalamment entre deux plaintes de porte. Ils ondulent des joues, rougies, et replacent leurs cheveux derrière leurs oreilles, masque mortuaire d'une vie sexuelle bien mise.

Pour se détendre de n'avoir rien voulu, ils se retrouveront autour de kiosques à journaux, piafferont un feuilletage pour le finir en tube, dans un sac en papier. Ils me regarderont comme un mauvais présage, désolés eux aussi d'en avoir tant manqué.

jeudi 25 février 2010

Impasses



Ils font des photos sur des polaroid pour de faux – ils les prennent avec leurs téléphones. Mais ça donne l'ambiance recherchée. L'idée passée, un peu racornie et voilée d'une vie qu'ils auraient voulu vivre avant et par super 8. Ils prennent des poses : il serait Serge, elle Jane, lui John, elle Yoko, ou encore Patti Smith. D'ailleurs depuis peu il s'est fait pousser la barbe et porte des t-shirts toute l'année, avec des dessins dessus. Elle c'est les shorts et les talons compensés. Elle enfonce sa tête dans son cou, fait tomber sa frange sur ses yeux, il fume des cigarettes en fronçant les sourcils. 

Ils alignent les bouteilles sur les cheminées à moulure, les amis passent et les félicitent. Ils sont une sorte de modèle pour tout le monde, alliant l'esthétique à l'agréable, et méritent toutes ces images collées dans les coins des miroirs, un peu penchées, pas symétriques. Parce qu'il ne sont pas comme ça. 

Ils crient à leurs fenêtres, ça les fait rigoler. Les soirs de foot, ça leur arrive de boire des bières et de se plier devant l'écran qui trône toujours au milieu d'un salon aux canapés blancs. Ils lèvent les bras, s'embrassent, transpirent. Vibrent.  

Ils s'énervent aussi sur de la politique, sur les sous-verres des bars, mais sortent volontiers pour fumer, parce qu'ils calent leurs poussettes à côté des manteaux et font des yeux ronds sur leurs nouveaux bébés. Appelés de noms mythologiques ou littéraires choisis, souvent courts et simples à articuler. 

Ils vivent des vies pastels qu'ils regardent à travers des filtres qui floutent. Roulent en boule sur les flancs des collines pour finir exténués. Du sang sur les mains. En dispersion rangée. 

samedi 13 février 2010

Le feu - la porte - le trou - la fin


Je perdais du sang noir acre et métallique. La maison vide, chaude et froide. Sans bruit la route gelée. Un peu de gadoue qui vole quand les voitures passent. Mes yeux se fixaient sur le sol, le trottoir et la neige en plaque, ça monte, attention à ne pas glisser. Les maisons en rang d'oignon grises, le ciel livide et les marcheurs étouffés. L'air trop parfait, trop mis en scène, trop là. Dans la grande maison vide, chaude et froide, je regarde mon index et la cicatrice de morsure de perroquet. 

Arrête, ne mets pas ton doigt, reste tranquille, il va te mordre, ne l'emmerde pas, voilà, il t'a mordu.

La trousse de secours dans le coffre de la voiture, le bruit de sable sous les roues, des vieux bandages à l'odeur de camphre. Je perdais du sang noir acre et métallique. De petites quantités collantes, à l'odeur de moisi et de limaille de cuivre. Le fond de la gorge sèche, jamais rassasiée par cette eau vraiment trop froide. 

Ils tournent et ils posent leurs mains, tournent et posent leurs mains, de plus en plus vite et le tournis prend à mesure qu'ils forment un seul cône de tornade humaine, ou semblent le vouloir. Les gestes sont de plus en plus brefs, les passages de plus en plus secs, les semelles de chaussures de plus en plus plates collent avec la neige qui fond. Ils tournent et touchent, tournent et touchent derviches -travail, famille, Charles de Gaulle. L'indépendance de la France, le culte du secret, la fine équipe soudée, très apprécié très respecté très discret très efficace. Une force de la nature, les cadeaux, la culture. Les sentiments rentrés, le bon fond, la franchise - honnête et droit.

Au mur des cadres en bois coloré et des feuilles d'arbres d'argent et d'or. Je perdais du sang noir acre et métallique, l'acidité montant avec le rouge et la fraîcheur irradiant le fond. Compter en cuillères et fourchettes, car ça voulait tout dire. Les codes à brûler ses calculs. A la maison le fauteuil taciturne est bordé de cheveux secs.

Dans la maison vide, chaude et froide, je perdais du sang noir acre et métallique sur son cercueil scellé à la cire cramoisie. 

jeudi 11 février 2010

Valet

Dans la rue, j'ai trouvé un carnet bleu.
Un vieil agenda de 2004 ou 2005, avec marqué « carnet de RDV » sur la page de garde et un couverture en skaï. Le carnet est petit, mais rempli : de faux dialogues, de pensées, d'un type, rassemblées visiblement en techniques pour draguer.
Il y a plusieurs parties. Dans la première il fait le gentil, teste des blagues « votre sac a l'air de s'ennuyer, permettez-vous qu'avec mon sac à moi on s'assoie à côté de vous pour déjeuner ? ».

Dans la seconde, il se fait plus cassant, cherchant là, peut-être, à jouer le salaud que toutes les filles recherchent, avec des excuses pour pleurer la nuit et se sentir vivantes.
« Porterais-tu des chaussures si tu n'avais pas de pied ?
- non
- alors pourquoi portes-tu un soutien-gorge ? »
Dans la dernière, ce sont des réflexions seules et des notes absurdes, et toujours des blagues : « chercher les paroles de Gainsbourg, Love on the Beach, très important » - « les temps sont durs, comme les œufs ».
« Que faut-il faire quand un éléphant a la chiasse ?
- de la place ».