dimanche 28 juin 2009

Cow

Les trains sont souvent remplis de débiles mentaux. Est-ce le fait qu'il s'agit d'un transport bon marché, la pauvreté allant souvent de pair avec un faciès de maladie rare ?

Thinking about U driving me crazy.

Bien que les fins de race aussi, possèdent leur lot de dégénérés.

My friends all say it's just a phase, but

Est-ce le fait simplement de rassembler des humains rapidement ensemble, et sur de petites surfaces, avec le Ruskof qui gueule sa langue et ses cheveux gras au bol en pensant que personne ne le comprend avec le Rital qui inflige sa techno de soupière pour cause d'écouteurs défectueux avec le poilu qui respire du nez avec la grosse et son mini-moi en jogging avec le demi-pédé grassouillet espérant des yeux que le Rital le remarque.

Every day is a yellow day

Le tout sentant des effluves mélangées de pied, de jambon, de bière et de rot acide. Avec des vieux en tweed s'échangeant leurs gommes pour sudoku et le noir avec iphone en mode haut-parleur.

I'm blinded by the daisies in your yard

Je ne sais pas quoi faire maintenant.

Solaire

La bouche métallique, sèche, tachycardie bien au-delà de la limite légale. Vision en bulle floue, bocal aux réminiscences calcaires et au poisson rouge flottant depuis bien trop longtemps sur le dos.

Ça sent la vieille guenille, l'ignorance du chemin parcouru comme d'autres ne voient pas la propreté des draps. Le tout qui fermente et se met à marcher tout seul, pour peu qu'on y mettre du sien.

Roue libre, faire du carnaval une bataille, planter des plots, mesurer la hauteur des eaux et signifier d'un coup de craie la crue historique.

Être le seul à s'éreinter pour que les poutres tiennent, être le seul à refuser de voir qu'elles sont déjà pourries.

Une vie pour ne pas contempler toutes ces merveilles entrevues avec un goût de merde nostalgique sur la langue. La promesse d'un monde meilleur à ceux qui se seront sacrifiés.

Juste un peu de répit, de laisser aller, et pourquoi pas de joie.

Renne

C'est le genre de fille à rire fort. C'est le genre de fille à en faire des caisses, à voir un film triste et à ne plus sortir de chez elle. C'est le genre de fille à dire qu'elle déteste sa mère. C'est le genre de fille à dire qu'elle adore les pédés. C'est le genre de fille à se teindre les cheveux, pour chercher, quelque part, son soi intérieur. C'est le genre de fille aux dents pourries, à la peau grumeleuse, au dessous d'ongles noircis.

C'est le genre de fille qu'on entend arriver de loin comme si elle avait des sabots à la place de la corne des pieds. C'est le genre de fille avec un grelot sur le cul, même en dehors des fêtes. C'est le genre de fille que tu saoules, en deux cocktails sucrés, et que tu bascules sur plage arrière.

C'est le genre de fille cliché sur pattes, à se prendre en photo en téléphone portable, c'est le genre de fille à dire genre. C'est le genre de filles qui ne sait pas faire la cuisine, c'est le genre de filles qui connait par cœur le nom des génériques des anxiolytiques, à claquer son chewing-gum sur ses gencives. C'est le genre de fille défouloir, et il en faut toujours une petite dizaine par classe d'âge, avec enfance difficile et peluche fétiche.

C'est le genre de fille il y en a des tonnes, à la pelle à la fourche à la pioche.

Caddie

L'idée m'était venue en visionnant des comptes Flickr au hasard. Les photos standardisées sans le vouloir, les processus inconscients des images qui se succédaient d'un bout à l'autre de la planète, les mêmes visages lisses, les mêmes femmes maquillées, les mêmes bras nus et la posture des amis-étaux ou de la bise-sandwich – c'est selon. Un individu, le plus souvent mâle, entouré de deux femelles serrant fortement leurs bouches en cul de poule sur ses joues. La pose pouvait se moduler au féminin, dans un lesbianisme bon teint de jeune trentenaire en rut, sortage de langue et tête basculée en arrière, cheveux brillants. L'air heureux, théâtralement heureux, du bonheur à fixer sur appareil, à diffuser, à échanger, signe d'une vie sociale fournie, de rencontres socio-sexuelles nombreuses, d'appartenance à la caste sociétalement supérieure des multi-amis.

Rien de plus simple ensuite de les retrouver sur Facebook. Demande d'amitié à faire en femelle si proie mâle, et inverse. Les secondes étant plus regardantes, il fallait privilégier de belles gueules à profil, sans tomber dans le caricatural et sécuriser. Le plus amusant était évidemment de piocher des photos de femmes ou d'hommes seuls dans des comptes Flickr apparemment connus, puisqu'on y retrouvait la cible, qui elle ne s'en souvenait pas. Rien ne rassure plus qu'un visage familier, même s'il nous est impossible de mettre un nom dessus. Ça fonctionnait.

Prise de rendez-vous rapide chez les hommes, plus diluée chez les femmes, le temps d'inspirer confiance dans une discussion via mp. Une fois l'adresse connue, les attendre en bas à l'heure de sortie, et passer au suivant quand trop de témoins à portée. Avec un anesthésiant chevalin, il était tout aussi simple de les transformer en êtres dociles et doux, humides et chauds comme des entrailles de dinde. Une lobotomie transorbitale pour finir de clore un destin.

Tignasse

Au bout d'un moment tu comprends que les mots n'ont plus aucun sens. Que les humains se rassemblent pour se tenir chaud. Et sans plus. Que personne n'a envie de comprendre, que personne ne se donne la peine, que personne n'a ne serait-ce l'idée qui lui vient à l'esprit.

Au bout d'un moment tu comprends que tout le monde est fatigué, que c'est l'hiver bien-sûr et qu'on a des excuses, qu'on a des choses à faire et plein de petites tâches à remplir, de croix à cocher dans des cases, de termes à souligner, d'amasser des feuilles mortes, et puis de les brûler, et puis de recommencer quand ça recommence, et d'attendre que ça passe.

Au bout d'un moment tu comprends qu'ils aiment ça faire leurs courses le lundi, prendre une douche avant de baiser, écrire dans des agendas, planifier, organiser, mettre en place, acheter des décorations de Noël.

Au bout d'un moment tu comprends qu'un cerveau de chèvre ferait tout aussi bien l'affaire. Et tu rêves de voir le ciel s'embraser, sous le lierre, à l'écart des soirées.

Elissa

Il me dit que je manque de repères. Il fait le geste sur le bois avec ses doigts, et ça crisse. Tu vois, sans prise, ça glisse. Impossible, répète-t-il, tu ne pourras pas vivre toute ta vie comme ça. Ou alors à en devenir fou, comme ceux qui regardent le soleil des heures durant et une rétine intacte.

Ça choque le monde hein, on attend la passade. Le côté : tu fais ta crise et tu nous fais plus chier. Je ne sais pas de quoi l'avenir est fait. Au final, ça lasse, et on cherchera toujours plus structuré, avec du sens dedans. Du relativement décalé, et qui ne fait pas exprès.

Ou alors en tragédie, la sauce prendra. Du genre, tu l'as bien cherché à faire la nique aux spectres. A trop te branler, on te rend sourd, à trop loucher le vent tourne. Tu t'éloignes du chemin, à tes risques et périls Rien de bien tolérable en arythmie sociale.

Alors, oui, ne pas voir le mal partout est une option certaine, et des exercices de style, aussi, je pourrais en éviter. Parler de choses qui sont, du réel, sans pincettes et écrémé. Au fond, tout le monde est en quête de vrai, il n'y a pas d'exception.

Vous le savez, la forme est un assassinat de tout ce qui reste. De tout ce qui ne se forme pas. De tout ce qui reste en suspens, dans les limbes, comme des cadavres d'enfants morts aux cercueils trop petits. De tout ce reste de glauque à la tonne encore, la preuve, que tu as, un souci, au niveau des, marques de, ponctuation.

Insupportable !

Endogame

La technique était simple. Il suffisait de les monter les uns contre les autres.

Avec un peu d’expérience, on acquiert vite la certitude qu’une seule espèce est de loin une fausse hypothèse, ce genre de mensonge autogénéré depuis des lustres, et qui tourne en capilotade dès qu’on y regarde de plus près. Il y avaient ceux qui espéraient gueuler fort et asseoir par là leur domination inversement proportionnelle au fait qu’ils bandaient mou, au fait qu’ils ne bandaient pas, au fait que l’idée même de l’avoir dure engendrait en eux toutes sortes de syndromes de sudation excessive, et de débandade assurée. Il y avait ceux qui, dans leur coin, regardaient les autres du coin de l’œil et qui posaient là, sans trop de difficulté, l’évidence d’être à part. Il y avait ceux qui fouinaient, toujours à la recherche d’indices, toujours un peu plus secrets et un peu plus enfouis ; ceux qui savaient avant les autres et à qui on ne la faisait pas. Il y avait ceux qui, les bras bringuebalants, hochaient la tête et n’en avaient rien à foutre, puisqu’ils étaient là pour faire ce qu’ils avaient à faire.

Au milieu, il les tenait tous. Plus ou moins savamment, et plus ou moins subtilement, il savait qu’un déficit se rééquilibrerait dans un excès tôt ou tard, et que la balance, au bout du compte, allait s’en sortir saine et sauve. Il le fallait en tout cas sinon, il serait bien mal dans la merde et se retrouverait seul. Chose impensable pour un être comme lui qui, dès qu’il tournait des orbites, en retrouvait un autre à distance raisonnable. C’était un genre de mission qu’il s’était donnée là, happer tous ces piaillants et les montrer comme des ours à tours sur eux-mêmes, les exhiber en des places relativement fournies, mais pas trop, histoire de se convaincre d’encore appartenir à l’élite.

Puis arriva le jour où l’arrogance de sa main de maître termina l’illusion. Où le bordel ambiant reprit sa place. Et où il l’eut très profondément dans l’os.

Vivre et mourir au pays

Tiens, petit, mange : c’est bon pour toi. Le but du jeu, c’est de faire croire au type que tu fais ça pour son bien. Les gens n’aiment pas se dire qu’ils font des choses inutiles, les gens aiment bien se dire que ce qu’ils font a un sens. Les gens aiment bien parler de cohérence, de logique, d’ordre. Si tu penses que c’est parce que ça les rassure, tu seras un bien piètre psychologue.

Les plus évolués sur l’échelle de la connaissance de soi te parleront d’éthique, de construction, qu’ils avancent. J’avance dans la vie et je construis peu à peu ce qui ressemble à l’éthique de mon existence. Si tu as déjà entendu ça, c’est normal. Prendre soin.

Il faut commencer par établir la norme, par exemple, l’heure à laquelle programmer ton réveil. L’éthique de la construction débute par un rythme. Si tous les jours tu ne fais pas les mêmes choses et si tu ne pars pas en week-end quand ça t’arrange, ne vas pas t’étonner que tout foute le camp.

Après, il est possible que tu sois surpris, ça va avec, les plates-bandes originent l’éventualité de la mauvaise herbe. Et inversement. Sinon, c’est pas drôle.

Tu pourrais même être surpris de plus en plus, laisser faire les choses, admettre l’intrinsèque liberté du flux. Ça pourrait même devenir l’éthique de ta construction, ça.

Regarde les humains en grappe, on n’est pas loin de pigeons qui picorent une pelouse.

Ton truc, c'est le contrôle.

Faut bien essayer de compenser, vu que j'ai une vie de merde. Du style à me faire pousser un bouton dégueulasse sous la lèvre impossible à péter sans laisser de traces, et impossible à laisser faire ; non plus. Je suis un cliché sur pattes et mon casual friday dure toute la semaine. Je suis une sous merde, une sombre merde, une pauvre merde, et tous les gens autour de moi se ressemblent. Ils mangent à la cantine. Et le pire, c'est qu'ils m'admirent.

Mon travail me permet de faire des expériences humaines et d'avoir avec le produit un véritable engagement citoyen. L'essentiel ce sont les rencontres, et d'être ouvert à l'inattendu.

C'est facile de critiquer, tout ça c'est de l'aigreur, moi je m'éclate. J'ai tellement une tête de con que n'importe qui de normalement constitué aurait envie de me taper. Mais il m'arrive aussi de pouvoir goûter d'authentiques moments de bonheur simple.

Je suis l'émanation universelle du connard international. De tout temps, j'existe, et par en-dessous je te dévore. C'est dans les steppes immémoriales que je puise l'énergie de mes boutons de manchette. Oui, tel est le stade personnel et proprement individuel de ma distinction ; ce sont les boutons de manchette.

J'aime le luxe, intimement, au plus profond de ce que je suis, et tu ne pourras rien y changer. J'aime les belles choses, aux lignes aussi ciselées que de l'aluminium semi-conducteur. Avec une patte trop courte ne lui permettant de se gratter que la moitié du dos. Je suis la preuve vivante qu'une autre philosophie d'entreprise est possible.

Aujourd'hui, je suis manager d'un groupe d'analyse qualité partenaire, demain je serai responsable communication pour un lobby de créateurs d'événementiels fournisseur d'expertise. Hier, je pourrissais lentement entre deux doigts de crème de cassis.

Mais je m'en fous, je suis le maître du monde.

Engagé

- Au fond, le problème, c'est qu'on permet à trop de gens de s'exprimer. Tu vois, dans l'ancien temps, avec les rois, les choses étaient claires et chacun de son côté. Tu ne peux pas non plus demander à tout le monde d'avoir un avis pertinent.

- Ce qui me gêne le plus, c'est l'absence de contrôle. On a beau dire, mais on ne peut pas faire absolument tout ce qu'on veut, sans respecter les règles.

- Les gens ont besoin de limites et de repères. Peut-être qu'une infime minorité est assez éduquée et cultivée pour faire les bons choix et prendre les bonnes décisions en toute connaissance de cause, mais c'est loin d'être le cas pour tout le monde.

- Que veux-tu ? C'est comme ça ! Certaines personnes ont besoin qu'on leur dise quoi faire. Sans nous, elles seraient perdues et, pour le coup, vraiment malheureuses.


- Ce qu'il faut, c'est toujours avoir en tête l'utilité et la responsabilité. Surtout, mesurer les conséquences.

- J'adore Thomas Dutronc.

Praton

Oh mon enfant, comme vous avez une grosse bite ! Pas grave si elle bande mou, je suis bien trop contente de vous voir, on pourra en discuter autour d'un barbecue, à la viande trop sèche, à la viande trop cuite, et à la viande qui crame et qui dissimule tout.

Comme c'est difficile pour vous, ô la la, et les aspirateurs dans le cul, et d'autres tâches à la petite cuillère, trop de tracas et les papiers s'entassent. Qu'est-ce que tu crois.

Vous êtes si fortes, dit-il, avec sa voix de truie. Nous aimons ce que vous nous envoyez en retour. Sous la boue, ta tête, se fracasse.

Envisager le rapport d'un volet remonté aux trois-quarts. L'aumône est toujours bonne à prendre. Pour qui me prends-tu. Prends le comme tu veux, prends le comme tu le sens, prends le comme tu en as envie.

Des conneries à la pelle, et en faire des tissages. L'un après l'autre l'enfiler, comme des antennes sans parabole, simplement piquantes et trop d'émissions.

Ce n'est pas si facile de rationaliser les choses et de les mettre au clou, à la perceuse, au tournevis électrique, dans une oreille la chose est pourtant simple.

Quelles mauvaises pensées s'égrènent sur tes lobes, qu'est-ce qu'une palissade, sinon un garde-fou, qui peut se consumer.

Qu'as tu donc à te reprocher et à dévider ainsi : il y a un problème, incontestablement

Grande malade.

Les cimetières sont remplis de gens irremplaçables

Essayons de raconter une histoire, histoire qui aurait comme personnage principal un être classé féminin. Pour le bien de la chose, nommons-la Isabelle. Isabelle on la ferait naître en 1973, du genre assez facile à calculer son âge. Aujourd'hui. Isabelle, on l'affublerait d'un petit traumatisme enfantin, pas trop gros, mais qu'elle répéterait à l'envi histoire de préciser les méandres déterminants de son identité. Le traumatisme là, ce serait le divorce des parents. De ceux qui se passent mal, un père qui quitte la mère et qui lui chie dessus dans le dos, et inversement parlant, tout le monde prenant son camp du salaud et de la victime trompée dans son honneur et laissée à elle-même à élever trois enfants. Un frère et une sœur donc, pour Isabelle l'héroïne. Le traumatisme, il ferait qu'Isabelle dès que tu la connaîtrais de rien, elle te lancerait en soufflant de la bouche : je ne peux pas faire confiance aux hommes ; et elle expliquerait, les détails du traumatisme en question.
Après tu la prendrais à l'âge qu'elle a maintenant, elle aurait un métier aussi. Elle serait du genre par exemple assistante dans un cabinet d'audit en marketing. Un poste relativement merdique, par rapport aux 150 000 balles d'un père démissionnaire qui se rattrape en payant mes études de commerce haut perchées. C'est qu'Isabelle, te raconte-t-elle, a eu un enfant. Ah bon. Un fils oui, un accident, enfin, c'est que le flot continue.
Elle l'a rencontré lors d'une soirée du BDE. Ce qu'elle ne savait pas évidemment, puisque ces soirées sont faites pour que ses membres se reproduisent ; qu'on y trouve des maris, et des femmes, des individus sur lesquels assigner l'électricité d'un gland tendu à la durabilité d'un engagement sur papier, et devant représentants officiels. Et ce genre d'événements se passent les vendredi, ils permettent de digérer l'alcool tout en ne rentrant pas chez soi de tout un week-end, en se gorgeant de l'excitabilité à venir d'un prêt immobilier. Comme la vie est bien faite.
Exactement comme cela, ce qui lui est arrivé à Isabelle. Sauf que l'homme en question, une fois les échauffourées des quotidiens hermétiques et des idées qu'il n'y a que toi dans ma vie que je cherchais depuis toujours, s'est révélé absent, incapable de prendre ses responsabilités et criant des fois un peu fort le soir, quand il n'y avait pas de match sur aucune chaîne câblée. C'est là qu'elle a compris Isabelle, qu'on ne changerait pas la nature humaine, encore moins à coup de curetage pour une pilule oubliée sciemment. Elle le sait maintenant, et on ne peut plus la lui faire.
Si je rajoute qu'elle s'apprête à rejoindre ce soir l'actionnaire principal du cabinet où elle bosse, le même qui lui a promis qu'il quitterait bientôt sa femme, l'emmènerait sur la côte et plaît tellement à son fils, ça sonnerait comme une caricature ?

Fait chaud. Envie de me faire baiser.

Moi, ça serait plutôt gravement l'inverse. Quand on dépasse les vingt degrés, j'ai le cerveau qui fond et juste assez d'énergie pour me faire refroidir du thé à l'hibiscus. Je perds du temps à mariner, ou plutôt j'en gagne évidemment, mais pas la peine de me dire de consommer des crèmes glacées, ça me fait mal à la bouche. Et pas la peine non plus de me dire que je suis chiant, ma mère a commencé bien avant toi, brave petit. Non, tout ce que je supporte c'est l'acidité rouge de l'hibiscus. Il faudrait te faire voir la couleur, un brun-rouge tirant vers le pourpre rosé quand tu remplis ta tasse. J'en boirais des litres. C'est d'ailleurs ce que je fais, tant est si bien me ma pisse vire au rouge, enfin, pour être précis dans la description réaliste, il faudrait dire orangé foncé, vu que nous mélangeons ici une sorte de rouge avec une sorte de jaune. Et surtout que l'hibiscus au thé renforce sa teinte originelle, ce qui fait qu'on peut se dire assez éloigné de la pureté des coloris.

Donc baiser non, comment dire pas vraiment. Les températures extrêmes ont cela de commun qu'elles rétrécissent ma bite. Et l'idée de m'évertuer en va et vient m'épuise par avance et me fait transpirer. Ne pas sous-estimer les forces de l'abstraction. Toute mon histoire fait tafiolle, tu dis. Bah oui, tiens, tu crois quoi, que l'avalanche de valeurs de pédale dans laquelle notre culture nous fait baigner n'a aucune incidence sur mon cerveau de parasite ? J'en déduis que tu es juste un tout petit peu con. Et même pas mignon, vu que ta face dégouline de l'idée d'aller cracher parterre afin de prouver ta virilité.

Une fois, je devais faire un truc dans un théâtre. J'ai croisé ce type qui fumait des Gitanes maïs, ou simplement sans filtre, le fait est que ça sniffait gravement le tabac brun. Après avoir compris que je m'étais perdu, ou que bien visiblement je n'étais pas là pour lui, il me fit suivre un autre chemin. Un peu par hasard, un peu parce que j'étais un peu trop con. Arrivés sur les coursives, il ma donné un coup derrière les genoux et m'a fait part de son envie de m'enculer. Avec un couteau brillant et personne aux alentours, la chose fut plutôt rapide. Il m'a craché sur le cul et tâté le terrain avec deux doigts. Quand il a éjaculé sur mon dos, il s'est senti les mains et m'a traité de sale pédé en m'honorant d'un dernier coup dans le bide.

Ce jour-là, il faisait trop chaud pour un mois de mai.

Pignole

C’est un peu facile, tout le temps, comme ça, de se foutre de la gueule des gens qui travaillent. Regarde celui-là, avec sa tronche de con et son déjeuner d’affaires. Tu crois que c’est simple d’avoir des déjeuners d’affaires ? De concilier l’alimentation de milieu de journée, les renvois incontrôlés et les discussions sérieuses qui aboutissent sur des contrats et des améliorations de secteur ? Alors évidemment, ah ah, il ne prend qu’un quart de vin, car c’est un sacré négociateur et qu’il reprend le chemin du bureau dès le café, et toi tu peux prendre ton temps et te bourrer sciemment la gueule, tu t’en fous, tu pourras dormir ou danser dans la rue ou rouler des pelles sous les porches, ce n’est pas ton souci de continuer les choses qui durent et de faire que le tout possède une homogénéité sous-jacente aux intermèdes précis.

C’est un peu facile, tout le temps, comme ça, d’écouter les conversations et de noter ou de s’en souvenir, car tu dis aussi des choses très connes, de temps en temps, et personne ne les notera ni s’en souviendra, et ton inconsistance s’évanouira dans l’histoire tandis que celle des autres sera fixée à jamais.

C’est un peu facile, tout le temps, comme ça, de voir la paille dans l’œil de ton voisin, et pas la poutre dans l’œil qui est le tien, mais c’est universel et tu n’es pas le seul qui croit avoir tout compris et se gonfler la cervelle d’être l’unique et indivisible prescripteur de vérité toute entière tournée vers la fonctionnalité première de changer le monde, pour le mieux.

C’est un peu facile, tout le temps, comme ça, de te plaindre, tout le temps, que les autres t’en veulent et ne te laissent pas, tout le temps, t’épanouir comme tu le devrais, ou comme tu le mérites, ou comme tant de ces choses inabouties dont la responsabilité de l’inexécution n’incombe qu’à toi-même.

En plus, tu n’as pas foi en l’humain, alors je ne vois pas ce que tu pourrais revendiquer.

Sh.

Il avait un jogging rose. Un ensemble de jogging.

Souvent on pouvait dire aussi survêtement mais c'était plutôt un mot de mères ça : « n'oublie pas ton survêtement , aujourd'hui tu as sport ». On ne disait pas « sport » on disait « gym » et on connaissait très bien son emploi du temps. Pas de cartables, des sacs à dos, pas de cahier de texte des agendas, pas de tennis des baskets, pas de boums des soirées.

Les autres, ils étaient trop cons ou trop pauvres ou trop des fifissamoman pour comprendre ce qui faisait bien, et ce qui faisait qu'on pouvait rentrer dans les cercles, à la récréations, à la pause et qui faisait discuter et rigoler et faisait dire ah ah mais tu l'as vu celui-là avec son jogging rose trop ridicule il ne fait rien en plus, il est dispensé mais pourquoi est-ce qu'il vient. C'était toute la question : mais pourquoi est-ce qu'il vient ?

A partir de quand faire pleurer dans les chaumières, c'est toute la question, surtout quand l'exercice est court et qu'il faut faire comprendre que l'histoire est vraie et qu'on a beau ne pas être bien vieille, on en a quand même des souvenirs, et du genre assez durs. Pourquoi d'ailleurs parler de dur d'ailleurs quand le fait de penser à une chose vous donne envie de pleurer, et faire couler les larmes, pas violemment non plus, pas de violence non plus depuis tout ce temps car la chose a été digérée à ce qu'on croyait, des larmes alors un peu grosses, molles et résignées. On devrait parler de souvenir mouillé. Et pas de résignation non plus parce qu'on se demande bien c'est quoi se résigner de l'idée qu'on puisse crever à 13 ans.

Le mot a été lancé, tu vois, la mort, ça y est, on s'en doute bien que ton petit copain, ou je ne sais pas qui dont tu parles, là, et dont la vie est vraie, va finir par y passer. En fait, dans toutes tes histoires il y a toujours quelqu'un qui finit par y passer, et tu crois que ça suffit à faire un ressort dramatique. Il y en a qui sont de vrais écrivains et qui savent raconter des histoires et dont les choses sont en place et le début et la fin, et la chute et les rebondissement, trac trac kodak, pas besoin de gigoter dans tous les sens et de hocher la tête pour faire croire qu'il y a là-dessous du autre chose qu'un divertissement juvénile en attente de mieux.

C'est lui qui m'avait appris à me gratter les oreilles avec un trombone. Il suffit de dérouler le trombone jusqu'au premier virage et ça suffit en général pour une oreille standard. Et ça résout pas mal de soucis aussi, une fois qu'on a compris on comprend bien par exemple que le coton-tige n'est qu'un pis-aller du besoin de se gratter. Se gratter l'oreille en dedans avec un trombone ça me fait un bien fou, me disait-il. Au niveau de la véracité, je ne sais plus vraiment si c'était ce genre d'expression qu'il employait : « ça me fait un bien fou ». Il devait plutôt prononcer les mots de « j'adore », ou « essaye pour voir », ou « il suffit de faire un peu attention et de ne pas enfoncer trop, c'est pour cela que le premier virage suffit ». Il avait une voix grave mais une voix de fille, toujours posée, un peu lente, il était grassouillet, pas gros, mou, empâté, il avait un coeur de merde et il se grattait les oreilles avec un trombone, il mettait un jogging rose et il s'asseyait sur les rambardes et il faisait bouger ses pieds dans l'air à baskets scratch.

Il était tout jaune dans son lit et après j'ai dû apprendre à vivre sans.

samedi 27 juin 2009

La société du spectacle

De mon temps, ce n'était pas si facile de faire ce qu'on voulait, tu sais. Il y avait l'autorité, les baffes, le respect. Mais l'idée n'est pas de regretter quoi que ce soit ou d'en vouloir à quiconque, l'idée c'est de faire avec les choses comme elles viennent, mais d'avoir des principes.

Des lunettes qui pendent à un fil, le front qui se plisse de ceux qui ont du mal à réfléchir, qui souffrent en espérant qu'une fronce de sourcil éjectera un peu plus de jus dans les circuits. Un cerveau, c'est comme une voiture, tu sais, si tu ne mets pas d'essence, tu ne peux pas démarrer. Il lève des fois les yeux et regarde autour de lui, il pourrait parler s'il ne murmurait pas, ne pas faire de vagues dit-il, tu n'as pas besoin de faire de scandale, les choses vont s'arranger.

Elle, elle pète les plombs, elle le dit d'ailleurs « si ça continue je vais péter les plombs », alors elle les pète, un par un, elle se lève et sa voix se colle sur le haut de sa gorge, elle éructe, elle nasillarde, elle se coince un peu à en pleurer des yeux. Elle bouscule, elle pousse, ce qui n'est plus possible n'est désormais plus tolérable, il faut que ça se sache, il faut que ça s'entende, il faut que ça se sente. Complètement hystérique cette pauvre fille.

Son ventre sec remonte sa ceinture bombée, comme dans un triptyque de Kranach, sa peau blanche s'étire sèche, se flasque. Elle en a porté trois, ils se sont développés à l'intérieur d'elle-même, elle a fait son devoir d'organe, elle a attendu, se serait résignée si elle connaissait le sens du mot désir. Cela fait partie de ce qui ne se discute pas.

Il ne regarde plus rien, il se baisse vers ses pieds et il souffle, tant de mots qui ne passent pas cette barrière de la langue, il pense en silence, tellement fort qu'on pourrait en décompter les syllabes. Les habitudes, les conventions, les automatismes, ceux qu'on accepte bien, ceux qu'on accepte moins bien, la vie porte à coche, tant de réflexions muettes et de résultats équilibrés.

Il raconte les toiles d'araignées, la femme de ménage pour 10 heures par semaine et l'évier qui colle encore. Le travail, c'est un esclavage, tu gagnes ta première paye et tu t'achètes une maison, alors après tu rembourses et tu dois encore travailler, tu gagnes et des gens comptent sur toi, c'est sans fin.

Puis retour à la normale.

Génération tête de con



Peut-être que si je devais faire une liste des candidats à l'avortement post-natal, je commencerais par ceux qui ont la coupe de Beigbeder ou qui ont un métier qui ressemble à quelque-chose comme « chef de produit ». Du genre qui t'interpellent :

- salut, tu fais quoi dans la vie ?
-
- moi, je suis responsable produit d'un grand groupe agroalimentaire

Parce qu'ils ne peuvent pas te dire « Danone », vu que si jamais tu travaillais dans le renseignement industriel, ça te serait super utile de savoir qu'un type aussi fier de son implantation de cheveux occupe ses journées à manager du yaourt.

Tu es responsable produit, alors tu fais gaffe que le lait caillé ne traverse pas tout seul le passage clouté. Il en va de ta responsabilité de responsable produit, c'est ce à quoi tu travailles, tu vois ; la responsabilité. Tu sniffes le destin, pas loin en tout cas. Même des fois, tu suggères des améliorations, et tu en fais des rapports en copie attachée.

L'autre jour, je croise une fille qui se dit « styliste ». C'est ce qu'elle fait dans la vie. Dans la vie elle fait « styliste ». Identification prioritaire à l'acharnement bulbique - petit avec des grandes oreilles. Elle avait une tête de vieille, de ceux et celles qui même à 11 ans avaient déjà leur tête de 45 ans, avec en dessous tout de même toujours leur corps de 11 ans. Évidemment, le résultat final peut être assez monstrueux, et son pull sentait l'effaceur.

Le point commun entre les responsables produits et ceux qui ont du plus long derrière mais pas trop sinon ça fait trop, c'est qu'ils t'adressent la parole. Ils se rentrent dans ton environnement sonore, afin de provoquer un échange, recadrer le contrat social. Un peu remettre de l'ordre à l'édifice. Une pierre dans la marre, avec ses ronds autour.

Ça s'appelle se rendre utile. C'est pour ça aussi qu'ils trient leurs déchets, préfèrent la brocante à Ikéa et se demandent ce qu'ils vont faire ce soir.

Arachide

En venir à compter les semaines comme des trophées. Encore une et ça en fera deux. Tenir bon et ne pas flancher, ne pas signer de trêve ou d'armistice, accepter la reddition. Il n'y pas pas de reddition dit-elle, et tu peux me la mettre bien profond, tu ne me possèdes pas, libère-toi un peu de ces discours de domination post-colonialiste du cul. Les hommes croient toujours (ah ah – elle riait) que celles qui jouissent leur ouvrent grande ouverte la porte de leurs secrets et la clé avec, tu la mets dans le trou. Et s'il n'y avait rien à savoir, dans ce fond plutôt court, si on y réfléchit, mais qui absorbait des bites depuis son plus jeune âge ?

Mais non, tu te donnes, disait-il, et il accentuait d'un coup de langue les syllabes téméraires. Baise-moi, murmurait-il, inversant provisoirement le rôle du preneur. Souvent les choses se passent dans la tête, ajoutait-il, et l'ergot de son cou remontait à en faire peur aux passants. Analyser et parler, remplir les vides par peur, expliquait-il, sans faire de gestes de ses grandes mains graciles, l'interprétation glissait de soi. Le sens, original, la vérité vraie qu'on y colle des estampilles, l'univocité perlait de tous les pores de sa peau.

Les effets de style, il les testait aussi, un peu malappris, un peu désordonné, régulièrement fantasque et refusant la prise au sérieux (processus éventé de domestication). Il n'en faisait pas son affaire, il appelait au secours, le sourire à la commissure boursouflée des regards qu'on évite. Il cherchait les balises, les attentions, les accrochures, étonné paraît-il d'une si grande évidence immédiate. Et il s'en retournait, et il calculait les coûts et les bénéfices, tout est histoire de transaction, pensait-il. Envoyer des signes et des pigeons voyageurs, la transpiration aussi prouvait-elle la dépense.

Il avait certainement dû le mettre de côté, l'oublier certainement sur le revers d'une porte, ignorant certainement par-là même qu'elle lui avait donné sa vie.

Si tu tisses

Le but du jeu c'est d'attendre. Quoique tu fasses l'idée que ton action présente n'est qu'une transition vers quelque chose de mieux – on appelle ça un passe-temps. Quand tu connais l'échéance, tu as une heure et un lieu, et savoir comment t'y rendre et par quel moyen le temps que ça va prendre, évidemment c'est plus facile. Adaptation de l'action présente en fonction de paramètres connus. Après il y a les prévisions en créneaux, beaucoup plus pervers, la précision n'est pas totalement lâche mais pas non plus évidemment ponctuelle pour te laisser l'esprit complètement libre. Ensuite, il y a les attentes irrationnelles et subtilement déterminées par l'idée que tu t'en fais. Les connaissances que ça va arriver mais sans autre détail attenants à la seule pensée de l'événement.

C'est ainsi que tout entier tu restes tendu vers l'avènement de la chose prévue mais sans plus. N'importe quelle activité différente peut bien en venir à bouleverser tes plans. N'importe quoi absolument n'importe quoi le plus petit détail qui te fait sortir de l'attente est précisément un risque même que tout ne sa passe pas comme prévu.

Le but du jeu c'est de combler les trous. Imaginer l'infinité probable d'activités possibles permettant une réalisation irrémédiablement consciente du risque de devoir être abandonnées. Tu donnes des lettres de noblesse à l'intermittence.

Après 10 ans, on peut dire qu'on frise la débilité mentale.

Aluminium

Le genre de mec à mettre des pulls à boutons sur les épaules. Ouverts et bleu marine. Gentil, oui, gentil. Le genre de mec qui sort sa carte de fidélité en avance, question de symbole. Il prendra soin de tes gamètes si tu choisis de dépenser avec lui l'énergie nécessaire à une copulation. L'air brave, les yeux un peu trop ronds. Trop par rapport à quoi, ce n'est pas précisé, mais l'effet de surplus est patent.

Il se trimballe avec une femelle aux cheveux coupés en carré tirant vers le vert. Avec une veste imperméabilisée de couleur passe-partout. Un signe de plus d'adaptation sportwear – et le regard émerveillé vers l'homme qui fait les courses. Celui qui prend en charge, ouvre les sacs en plastique en moins de deux et paye, et harmonise bien les produits achetés dans les sacs en plastique pour que les mains ne soient ni trop ciselées ni trop surchargées et que le poids se répartisse harmonieusement entre les deux bras. Question d'habitude.

Le manège est bien huilé, suffit de fourrer les denrées lourdes au fond et de parsemer d'emballages plus légers, qui tomberont en toute bonne logique dans les coins laissés vacants. Attention tout de même aux produits les plus fragiles, œufs, fruits, à garder sur le côté et à mettre au dernier moment sur le haut. En cerise sur le gâteau, et quelque soit la saison.

Tenter de mettre le frais avec le frais, l'hygiène avec l'hygiène et les piles, c'est pas grave, mais la petite bouteille donne la moi dans mon sac je vais boire tout de suite (j'ai soif).

Une tête un peu suspicieuse quand le montant s'affiche en lettres digitales. On en a pour trois jours, seulement, à tenir.

Fruit de la passion

Je m'appelle François, mais les gens m'appellent Franck. Fondamentalement, personne ne m'a jamais forcé à porter ce surnom débile, mais vous savez, les surnoms, les diminutifs, les pseudonymes, tout ça, ça plaît, ça donne l'impression de contrôler les événements, de donner sa patte à des processus aveugles - je ne vais pas vous faire l'article, vous savez tous de quoi je parle. Bref. D'un point de vue strictement objectif, je pense n'avoir aucun intérêt, même si c'est toujours difficile d'être à la fois l'observateur et le critique, et de raisonner en termes d'intérêt en ce qui concerne les gens, les humains, les individus avec des consciences dont on a toujours du mal à concevoir la qualité dispendieuse.

Il y en a évidemment qui m'aiment pour ce que je suis, comme ma mère par exemple, c'est tellement cliché que c'est vrai. Le concept de mère, c'est évidemment que n'importe quoi sortant d'une mère est automatiquement digne d'affection, d'intérêt et d'amour, c'est le concept même de l'attachement. Il doit évidemment y avoir des tas d'hormones et de processus biochimiques en marche pour tisser ce lien indéfectible entre le pondu et la pondante. Il y en a évidemment qui ne sont pas aussi prévisibles et qui ne ressentent pas cette immédiateté inconditionnelle – dans ces cas là, ça se finit souvent dans un sac plastique.

Néanmoins, je me suis toujours demandé ce qui poussait les gens à se reproduire. Ce n'est pas vraiment que cela me gêne, mais il n'a jamais été question, pour moi, d'un désir irrépressible à s'étouffer s'il n'est pas assouvi. Comme pour ma femme par exemple. Elle s'appelle Clotilde. Le détail n'a peut-être pas d'importance, mais comme pour les surnoms, j'ai remarqué que l'idée de déduire une personnalité à travers un prénom avait son charme parmi les gens. Je me suis donc dit que cela pouvait vous plaire. Clotilde, vous l'aviez peut-être déduit, elle n'a jamais été belle. Même à 17 ans quand je l'ai vue pour la première fois sur le banc du lycée à faire des filaments de chewing-gum entre ses doigts. En fait, je dis ça, mais je n'en sais rien, je brode, vu je ne me souviens pas de cette première rencontre. Je sais bien que moi non-plus, je ne suis pas beau, mais je ne suis pas laid : je suis bof. Du genre à me mettre contre un mur et à disparaître. A la limite la laideur aboutie de Clotilde faisait qu'on me remarquait – mais ce n'est pas le sujet.

J'ai divorcé de Clotilde, je vois mes enfants toutes les deux semaines, mon fils a une tête de hamster et, je le crains, des capacités intellectuelles assez basses, du genre tout juste suffisantes pour rédiger des rapports dans une multinationale agroalimentaire sur l'intérêt prospectif de l'audit en qualité produit. Ma fille ressemble à sa mère, c'est même son portrait craché. Elles sont pour le moment inséparables, jusqu'au jour où elle se détesteront et où ma fille se plaindra de sa première fois dans une cage d'escalier.

Avec ma femme, nous avons divorcé à l'amiable parce que j'en avais marre d'être puceau, je voulais tremper ma bite ailleurs. Mais aujourd'hui, j'avoue avoir toujours préféré me branler.

Gloria

Aujourd'hui le cocktail de vitamines avait un goût de rat. Je ne sais pas, finalement, j'avais dû mal rincer le verre. Ne me juge pas si durement, petite fille, avec tes collants blancs et ta jupe à volants. Quand tu seras grande, tu comprendras : parfois ça ne mousse plus et pourtant il reste du produit vaisselle, au fond.

C'est un peu ce genre de tiraillements du quotidien qu'il te faudra enjamber, avec le sens du compromis, des mots pas plus hauts que d'autres, le sacrifice dans la poche arrière (tu pourras aussi dire je prends sur moi). Alors bien évidemment, on est loin des diamants liquides, de l'or en tube et plus proches de la merde en barre. C'est un fait même, pour certains.

Il te faudra apprendre aussi à ne pas écouter les oiseaux de mauvais augure, prendre appui sur tes pairs et tes aînées, par exemple, qui seront, en gros, toujours plus ou moins de bon conseil. Plus moins que plus d'ailleurs.

Il te faudra apprendre aussi la nécessité d'une carapace, en particulier car tu auras à ingérer une grande quantité de salade. Pensez à diversifier les espèces et à user sans modération des épices et des herbes !

Et ne jamais sous-estimer la pauvreté des rêves des gens.

jeudi 25 juin 2009

Pink

Et c'est comme ça que tourne le monde. Les choses segmentées, les putes et les femmes respectables, celles avec qui tu te marieras et qui te feront rouler des yeux au ciel et à gauche et à droite, et souffler dans tes narines qui se gonflent à mesure que tu t'amuseras de toutes les choses par lesquelles tu es passé.

A six mois de grossesse, elle ne voulait plus du tout de sexe, plus du tout c'est plus du tout (tu témoignes), impossible de ne rien lui demander ni de la toucher si gentiment qu'une plume de bébé pigeon aurait bien fait l'affaire. Le dégoût total, disait-elle, si sensible elle était et son ventre tout entier remontait jusque dans ses bras et ses jambes gonflées de trop de poids par-dessus qu'elle s'endormait épuisée de ne pouvoir rien plus faire.

Alors il y eut Fabienne, Fabienne dans ce séminaire à la con dont tu ne te rappelles plus le nom. Fabienne c'était une sorte de fantasme rabougri, la fille pas vraiment belle mais tellement interdite des teasings saugrenus à la pause café, les blagues un peu osées (pour tester les réactions) vous vous croisiez depuis plusieurs années et les études ensemble, de loin, et des rencontres fortuites dans les ascenseurs (elle vient passer un entretien d'embauche). Fabienne elle était là et un peu délurée, avec le peu d'alcool de ces soirées à l'hôtel où on se fait bien chier à zapper sur les chaînes étrangères, un peu honteux de devoir payer le lendemain le supplément pay per view qu'on s'endort frustré, et la main sur la queue à n'oser rien faire, même pas de tâche sur les draps en coton sauvage. Fabienne alors, Fabienne qui rit pour un rien, Fabienne un peu seule et un peu triste ce soir, Fabienne qui monte facilement (elle est à ton étage), Fabienne à qui tu racontes tes histoires de mari trompé dans sa virilité promise à une femme enceinte qui ne veut plus de lui (même si c'est temporaire, les hommes ont des besoins). Fabienne qui écoute et tu la culbuteras rapidement, à en juter sur son cul alors que tu croyais reprendre ton souffle. Fabienne qui s'excusera pour deux et qui te griffonnera son nouveau numéro de portable sur le calepin de l'hôtel, Fabienne que tu oublieras sur la table de nuit.

Mais Fabienne qui t'a fait tellement de bien à ne pas devoir demander si elle avait envie de toi, car c'était évident, Fabienne, même si elle n'est pas cette super bonne meuf que tu aurais été en droit d'attendre (statut upper class), Fabienne sympa pour te pomper le dard sans autre forme de procès et se retourner sans bruit pour que tu la lui mettes. Fabienne enfin, si gentille au fond d'avoir tout compris à la minute même où tu lui proposas ce dernier verre. Fabienne sous cloche, Fabienne pour plus tard. Fabienne, tu lui aurais bien envoyé un texto quand ta femme accoucha.

Fabienne, c'est toi, tu l'as décidé, la responsabilité incombe à tes épaules, Fabienne tu n'aurais pas pu être quelqu'un d'autre, Fabienne c'était toi qu'elle voulait, ou qu'elle ne voulait pas, car ce n'est pas ton problème. Fabienne, tu y penses de temps en temps, et tu soupires pour penser à autre chose.

Je tire, je tire, et la chair en-dessous de la peau en devient vive de sang à mesure qu'elle tombe.

Dans mon jeune âge je jouais du violon sur des boyaux de chat

Il avait d'énormes couilles, cela dit un peu trop rondes pour êtres vraies, comme remplies de boules de pétanque. Elles ne devaient pas vraiment l'aider à marcher, mais vu qu'il était proportionnellement gigantesque, en fait, il devrait plutôt s'en foutre.

Raconter n'importe quoi, ce n'est pas ça qui va t'aider à te sentir plus existante. En effet, non, mais ça peut tout de même y contribuer. De la même façon que remplir des caisses, et aligner les bouteilles une à une l'une contre l'autre en minimisant les risques de choc en cas de chute ou de manipulation trop brutale de la part du manutentionnaire. De la même façon que les gens se mettent sur les photos et demandent à d'autres personnes qui passent, ou aux personnes qui marchent avec elles d'appuyer sur le bouton. De la même façon que tout le monde se satisfait de petits expédients en espérant que le soir se couche vite.

L'attente est la chose du monde la mieux partagée. Et ne crois pas que le fait de porter un imperméable bleu y change quoi que ce soit. Ça va être les premières rides, qu'elles soient imaginaires ou non, ensuite tu sentiras des tiraillements, tu te mettras à lever les yeux au ciel, que ce soit pour trois secondes ou plus ou pas, et ensuite tu feras des choses assez débiles, comme danser avec une rose entre les dents ou une tomate cerise entre les seins. Tu es condamnée à avoir des considérations existentielles, ma petite, plus le temps passera, et plus tu collectionneras les regrets à pouvoir t'en tisser des colliers de nouilles. Pas la peine de faire ta fière et de dire que c'est à cause de ton cerveau malade que les événements glissent comme du beurre en motte. Ça ne trompe personne et pas besoin de machines sophistiquées pour lire en toi comme dans un livre. Trop facile même, tu pourrais te mettre en équation que rien ne serait plus clair, lipide, absolument transparent.

Il te manque une vraie vie. Point barre.

./

Hommage

Elle dit qu'elle n'a pas fait de shampoing depuis jeudi. Jeudi, ça fait presque une semaine. Elle dit qu'entre les deux elle a fait un shampoing sec mais qu'elle n'en est pas satisfaite, évidemment. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle s'est dit qu'elle allait aller chez le coiffeur, entre autres, pour se laver les cheveux. Les gens ne se rendent pas compte comment ils ont l'air cons et sales et malpropres avec les cheveux sales. Les femmes surtout, vu que les hommes ont en moyenne les cheveux courts et que sur cheveux courts la saleté se voit moins, à moins qu'elle soit associée à des pellicules ou à d'autres formes de croûtes de cuir chevelu sale et malade. Les hommes mettent parfois du gel pour dissimuler la graisse de leurs cheveux sales, les hommes mettent parfois du gel sur leurs cheveux, même si les cheveux sont courts et que le gel ne sert à rien à part à faire croire que les cheveux sont sales.

Chez les femmes, le cheveux sales rendent con, le visage devient con, le visage devient graisseux à mesure que le cheveu luit et que les yeux s'éteignent. On dit « le cheveu » quand les cheveux sont sales, car les milliers d'individus capillaires se transforment en une unique et seule masse luisante de gras du laisser aller. Ce n'est pas grave aujourd'hui je n'ai qu'à descendre la poubelle et remonter regarder la télévision et repasser ses chemises à lui qui sort et qui a donc toutes les raisons de se laver les cheveux, lui. Ce n'est pas grave car j'ai entendu qu'il ne faut pas trop se laver les cheveux car cela abîme le cuir chevelu et comme cela économise aussi l'eau et que la bonne-femme de la météo me donne des conseils pour sauver ma planète je m'y plie sans trop avoir à demander les permissions de faire ce que je veux puisque c'est bon pour la planète c'est bon pour moi.

Elle essaye parfois de cacher la misère de ses cheveux collants avec des barrettes ou des raies sur le côté qui ne font qu'ajourer un peu plus la façon dont le cheveux colle au crâne de toute sa viscosité contente. Et le bas du front qui en refléterait même le trottoir tellement les couches de matière grasse accumulée depuis des jours descendent peu à peu sur la peau sous les cheveux. On appelle ça l'implantation, il y en a même qui passent leur temps à calculer l'inclinaison de cette fameuse implantation en fonction du QI supposé de l'individu, face à l'implantation telle qu'il doit être sacrément cortiqué ce petit bout de gars-là, jamais vu une implantation pareille. Et ça peut continuer sur le lobe des oreilles.


Tout n'est qu'un prétexte pour te dire que je n'aime pas ta gueule.

Grenouille

Il lui fallait faire un break. Toute la semaine de 9h à 19h, elle remplissait des cases de chiffres, concevait des tableaux animés qu'elle montrait ensuite à d'autres, rassemblés dans des pièces faites pour, des salles de réunion qui précédaient des salles de pause, des portes et des chaises à roulette, de la moquette bleu ciel, des murs blancs, des vitres et du verre, un peu de métal et quelques grandes plantes vertes accueillant les visiteurs aux badges appropriés. Les virements tombaient en fin de mois, avec eux les primes qui permettaient de payer ces taxes qui rendent utiles, partie invisible du système, je fais ce que je peux à ma manière, on me prélève par tiers et je peux dire que c'est un peu grâce à moi que l'on construit des routes.

Elle regardait le temps passer, parfois, et le passait aussi à discuter par mail, par réseau social, par messageries interne et instantanée, avec ces mêmes personnes qu'elle croisait en vrai à la machine à café et qui faisait sa vie, ses habitudes, ses chiffres à remplir dans ses cases, ses prospections, ses rapports, ses présentations. Elle se grisait de tant d'immédiateté, de tant de rapidité et d'évidences. Il y avait aussi quelques fois des bières après le boulot, quelques fois aussi des dîners à ne pas terminer trop tard pour cause de lendemain de boulot, à terminer un peu plus tard les relâches de fin de semaine sans boulot le lendemain.

Je l'avais suivie par hasard, parce que je l'avais entendue dans le métro, parler à d'autres femmes, d'un dénommé Jérôme, je crois, qui passait sa vie devant des jeux vidéos, il en avait même oublié un jour la rentrée des classes, il ne faisait que ça du lever au coucher, trois minutes pour aller aux toilettes et il en profitait pour se faire des plateaux repas. Sa mère lui avait demandé son avis, sa mère était sa soeur, Jérôme était son neveu, sa mère lui avait demandé ses conseils, et elle le racontait à ses amies des quatre places, elle parlait à n'en plus finir de respirer, le bruit incessant de ses paroles, la salive inépuisable des lèvres toujours ouvertes, les éclats, elle faisait le bien des autres et elle s'en gorgeait la bouche pleine ; le bruit. Les mesures de rétorsion, elle racontait, l'ordinateur confisqué et les CD-Rom jetés, elle disait, ce n'était plus possible, il avait perdu tout contact avec la réalité, tout ce qu'il voulait, c'était être le meilleur à ses jeux vidéo. Les amies chuchotaient, s'offusquaient, jouaient la mine de l'accointance. Mais elle était contente et elle avait réussi, Jérôme reprenait peu à peu le goût du réel, et samedi dernier, pour la première fois depuis six mois, il était sorti avec ses copains.

Je ne sais plus trop comment on en était arrivé là, ses yeux ouverts sous l'eau. Elle avait fait son break.

Ruche

J'aurais pu finir comme tant d'autres, à pendouiller la chaussure défaite au-dessus d'un tabouret renversé et du four encore chaud. Mais j'ai préféré m'agripper, non pas à un lustre, qui facilement se serait pété la gueule et m'aurait causé, en plus d'une mort en forme de truisme, de celles ridicules qui encombrent les almanachs qui font rire, non pas à la vie non plus, la formule est tellement éculée que ses fondements tombent en miettes, non pas à un bidet car la distance aurait été trop faible ; mais plutôt à ses deux doigts doigts qui, au fond de ma gorge, font que certains week-end se terminent moins mal que d'autres et me donnent envie de remettre le couvert.

J'aurais pu choisir la moins moche de la promo, enfin, la moins moche de celles qui voulaient bien de moi, et ce pour une durée indéterminée avec photos à poser sur la commode et comptes en banque à joindre ; ce qui n'était pas si évident compte tenu non pas de mon mètre-quatre-vingt-douze pour quatre-vingt-sept kilogrammes de muscles saillants mais du seul membre qu'il me fallait lever avec peine en lui donnant des coups dessus.

Avec le petit œil au fond du trou.

Calcification

Une sorte de cou s'enfilant directement dans un genre de tête le tout embouché dans un style de pull. Avec un col, à plusieurs pliures. Elle lisait la biographie de Madonna écrite par le frère de Madonna. Elle claquait aussi des dents, des gencives, et ce bruit de vent en silence me donnait presque envie de la battre à coup de brique. Le nez relevé, une tâche sur la langue, j'y étais bien avant et j'avais fait tout cela bien, aussi. Au bout d'un temps, le temps te fait dire « je le savais », avec un air blasé et les yeux qui remontent.

Car au moment même où les lumières baissent, ce sont ces vieux réflexes qui se la donnent. Flairer la hyène derrière la pierre, analyser les bruits, avoir peur, toujours, dans l'éternel recommencement des toujours en place. Toute suspicion s'efface devant des certitudes.

Pour que cela cesse et pour passer à autre chose. Pour de vrai. Pour ne plus se traîner cette nostalgie comme une fierté des cicatrices ; des marques, des attestations de passé proche ou moins, l'impression d'évoluer (« avancer ») de progresser, directement, dans le trou. Le haut du trottoir roulant, le mouvement imposé sans pouvoir donner cet avis dont tout un chacun, à raison, se fout.

Voire à coup d'extincteur.

Retour sur investissement

Il s'appelle Pascal Chantrieux. Je le sais parce qu'il le dit tout fort dans son téléphone et que l'arrière de son crâne est pratiquement collé au mien. Je le sais parce que je me retourne et parce que je suis étonné de la disposition de ces fauteuils collés eux aussi à une structure en fer elle-même collée sur un revêtement caoutchouteux en nid d'abeille, au milieu duquel parfois colle un reste de chewing-gum aplati et grisé. Une fois sur deux, environ. L'autre fois c'est un papier qui traîne. Certainement inutile.

Sa voix frôle les aigus et retombe. Sa voix au départ parle de choses intimes. Elle doit certainement parler à une femme parce qu'il lui dit de lui dire tout du net qu'elle recherche un homme jeune, actif et vigoureux. Il pouffe à la fin des trois mots, certainement parce qu'il pense à une bonne grosse bite sans soif.

Il termine son rire entre ses dents, le bruit du vent qui passe dans la salive. Tchou tchou.

Il lui dit qu'il s'excuse, car oui, longtemps qu'il n'a pas donné de nouvelles, et il s'excuse aussi de l'appeler dans le bus (certainement destiné aussi à excuser en sous-texte l'imposition anonyme uniforme du contenu des décibels de sa conversation), mais il explique que c'est parce que le soir il est avec elle, que la relation est toute neuve, et que ce n'est pas facile parce que le soir il préfère en profiter déjà que certains soirs elle est avec ses enfants et que ça non plus, ce n'est pas facile. Oui, ce n'est pas facile (encore il répète).

Un temps, elle parle à l'autre bout. Ça s'entend comme une petite souris qui crierait dans une boîte à sucre.

Oui, ça va ça va, on commence à s'apprivoiser (il pouffe encore un peu, mais de façon plus silencieuse), mais c'est encore jeune, donc bon.

Donc bon clôture : on passe à autre chose. Il revient aussi de Leroy Merlin, dit-il, et non il n'en a pas trouvé (de quoi, inconnu, exigence d'imagination, poser des hypothèses, calculer des probabilités). Il raccroche, oui, oui d'accord, à très bientôt, ciao ciao. Encore un peu de pouffe, ça passe maintenant par le nez.

Sa voix se baisse à mesure qu'il bascule son front vers l'avant. Oui, je veux la garder pour moi, dit-il à sa cravate.

samedi 13 juin 2009

Hygiène morale

Voilà, que veux-tu, ta vie court si bien. Du matin jusqu'au soir, réveil et couvertures : sans cesse occupé à faire mille autres choses. A ranger, bien en place, dans leurs petites casemates : à neuf heures, voyons-nous, à midi, un whisky. Tout petit et pas trop, car c'est l'après midi embrumé de tes sucs, il te faut peser lourd dans l'harmonie fétide d'un soleil déclinant. La fatigue aux genoux et rapidement l'ennui, d'assister, sans rien faire, à l'avance du cadran.

Mais on sonne, et ça vibre, et sortir, il le faut. Un dernier coup d'œil, amusé, vers un film rigolo. Un animal blessé, qui éructe et faillit ; comme ça t'amuse tout ça, comme ce n'est pas sérieux. On se poile entre soi, on s'en tape les cuisses. Tu as vu la dernière ? Et comment, oh la la.

Car ta grosse tête de con j'aimerais l'écraser. Ton costume beige merde, et ta besace qui pique. Tes dents blanches, tes yeux ronds, ta barbe à peine poussée. Comme on pèle un brugnon, comme on flambe un fraisier : j'aimerais que ça gicle, j'aimerais voir sur ton front ruisseler la goutte et saisir le mot non. Il n'y aura pas de chance, ni première ni seconde. Tes excuses bidon, tu peux te les carrer : on ne s'est jamais vus sans jamais se connaître et sans rien à comprendre. Sans raison apparente, c'est absurde, et voilà. La violence immature d'un gorille au village. Le respect et la crainte, avoue la différence.

Tes gros poils, ta mâchoire, l'apparat d'un mensonge.

jeudi 11 juin 2009

Subhuman (3)

Il s'appelle Renaud.

A l'époque de sa naissance, ses parents pensaient sans y penser que cela ne serait pas grave de donner à leur nouveau-né le nom d'un chanteur communiste et rebelle. Inconnu il était, intimiste. Au pire, un initié aurait compris l'hommage et l'aurait félicité, le goût des parents. Manque de pot pour Renaud, le chanteur homonyme a duré, traversé les époques, comme on dit, repenti son alcoolisme honteux, engouffré la ringardise. Son enfance, il l'a passée dans des " c'est pas l'homme qui prend la mer, c'est la mer qui prend l'homme, tatatin ". Il vit aujourd'hui dans les " arrêter la clope avant qu'elle n'arrête ma vie ".

Mais il a l'habitude, Renaud, on pourrait même dire que ça lui plaît, quand le témoignage parental de ferveur musicale est compris, saisi sur le champ d'une première rencontre. Il chantonne, il acquiesce, il remercie tacitement ses parents de lui avoir donné un sujet de conversation si aisé et automatique, une manière si simple et finalement naturelle de briser la glace. Il le fait d'ailleurs souvent, en vrai, le dimanche, autour des côtelettes, de la purée, de l'opéra et de la Suze, quand il rend visite à sa mère. Séquence émotion, l'idée venue du père, le baptême républicain, Madame Thatcher (c'est la meilleure), devenus définitivement nostalgiques, tristes à pleurer. Car le père est mort, emporté par un cancer des poumons (le crabe a eu raison de lui). En vérité, le diagnostic fut relativement optimiste : de grosses cellules concentrées sur le lobe gauche, une opération, une vie longue et vieille à s'économiser sur un seul organe, l'espoir d'une greffe, peut-être, ni vu ni connu ; un mauvais souvenir, en somme, qu'on raconte avant de détendre l'atmosphère, ensuite, avec un " marche à l'ombre ". Un mauvais souvenir, oui, si un chirurgien n'avait pas fait l'ablation du poumon droit et terminé toute l'affaire au crématorium de Sucy-en-Brie.

Néanmoins, Renaud est un être jovial. Comme aujourd'hui d'ailleurs. Bourré comme un coing, il fait tressauter son polo Lacoste, son jean délavé et ses mocassins cirés sur du Madonna remixé à la sauce bonne soirée qui se respecte. Une soirée de collègues, car Renaud est prof d'éducation physique dans le lycée Albert Camus d'une banlieue sud. Une soirée de collègues, car c'est une fin d'année avec ses tempéraments qui s'échauffent et ses bouteilles qui se vident. D'ailleurs, Renaud en aurait bien profité pour sauter Virginie (qu'on appelle Gigi), la documentaliste, si son meilleur ami Thomas s'en occupait pas déjà, depuis deux semaines environ. L'idylle est jeune, les effusions régulières, la passion débordante. Gigi et Thomas remercient souvent Renaud, qui sait rester toujours tranquille et peinard, car c'est grâce à lui qu'ils se sont rencontrés.


- Et merci Renaud, t'es un chou, dit Gigi sur la piste de danse.

- Un chou, ouais, répond Renaud, un gros chou à la crème qui va t'exploser le cul, salope.

Mais Gigi n'entend rien, parce que ça va faire quatre fois que la music makes the people come together. Yeah.

Schuld

Tu ne peux pas simplement te dire que les autres sont en faute, il faut que tu sois coupable. Il faut que tu ressentes que les choses auraient pu être autrement si tu l'avais voulu, vraiment, sincèrement. Si c'était réel que tu n'en voulais pas, si c'était réel que tu n'en avais pas un peu envie. Il faut que tu l'assimiles, la faute. Il faut que tu la mâches, que tu l'avales et que tes sucs gastriques te la fasse passer dans le sang. Que ça vive en toi et que tu ne puisses plus faire autrement que de t'en prendre plein la gueule. Que tu ne puisses plus rien ignorer. Que l'oubli ne soit même pas une possibilité pensable, une alternative possible.

Mais tu peux être aussi coupable de ne l'avoir pas trop voulu, de t'en être foutu un peu, de dire que c'est passé et que tu ne t'en souviens plus. Tu peux dire que ce n'est pas grave, on ne te croira pas et même et on dira que tout s'explique bien maintenant, ah ah. Tu peux raconter que tu n'as pas envie de le dire et que tu ne veux pas que ça soit mal pris. Tu peux toujours te camoufler, on prendra ça pour un traumatisme, un trouble, quelque chose à soigner ou à garder avec soi, même si au fond ce n'est pas normal et qu'on se demande bien ce qui a pu te faire en arriver là.

Tu peux prendre tout ça à la rigolade, ou extrêmement sérieusement, dire que maintenant tu trembles dès qu'un homme te touche, ou veut te toucher, ou pense à te toucher. Là on compatira et on poussera des « oh » et on fera rouler ses yeux. On se tordra de douleur sur nos chaises à te regarder te débattre comme une mouche dans un tube de néon tellement qu'on attendra qu'une chose c'est qu'on te ramasse à la petite cuillère et qu'on te mette dans un sac et qu'on y colle une étiquette.

Suivant.

gloB

J'ai de la culture, tout du moins, on m'a appris à en avoir ; et je serai éternellement reconnaissant envers toutes ces personnes, tous ces passeurs de relais, tous ces messagers du sublime qui font aujourd'hui ce que je suis en cet instant.

Je ne raconte pas ma vie car je sais pertinemment que le narcissisme allié au capitalisme conduit au fascisme. Je suis humble, je suis conscient de ma propre médiocrité qui me frappe quelquefois au visage que j'en reste à terre abasourdi.

J'ai une sainte aversion des hiérarchies, on peut même dire que ça me débecte, quand je suis énervé, je dirais même que ça me donne envie de gerber tellement ça me dégoûte.

Je n'achète pas les journaux mais je croise leurs couvertures et je sais bien, au fond, qu'on veut m'acheter mon cerveau, que je ne suis qu'un produit parmi d'autres, une pièce qu'on ramasse à la fourche et mon âme et tout ce qui fait le sceau même de mon identité est étalée sur le grand marché obscène du libéralisme qui n'a même plus peur d'être effrontément dégueulasse.
J'ai des avis, je pense, je lis, je réagis, je ne vais pas très bien mais il faut s'en sortir même si j'ai beaucoup souffert car il faut que je vous le raconte.

J'ai une tête de 12 ans sur un corps de 56 ans. Je pousse.

Je me débats, je cuisine et j'ai des problèmes gastriques et je transpire. Et il faut totalement que je me débarrasse de mes héritages et de ma filiation car c'est cette famille là qui m'a tellement détruit et enfoncé la tête sous l'eau en la maintenant à la pince monseigneur.

Je me pose des questions et je n'ai pas de réponses, et je suis angoissé et merde des fois j'ai tellement envie de tout foutre en l'air.

Alors je vais voir les statistiques, je compare, j'imagine tous ces individus qui doivent en avoir des points communs avec moi pour passer en moyenne 34 mn 43s sur ma page personnelle et confidentielle car même si je parle au fond de ma vie il y a toujours quelque chose de supérieur, quelque chose qui la dépasse, quelque chose qui fait ce lien aux autres et cette attention, et toute cette curiosité tellement saine et normale et mon coeur se réchauffe de voir que je ne suis pas le seul dans ces tracas. On me soutient.

Je peux aussi parler des gens qui passent même si je ne les nomme pas par respect de leur vie privée, je leur mets des majuscules ou je leur donne des surnoms, je me moque, quelquefois, un peu. J'en rajoute, souvent et c'est la norme d'enjoliver les petits rien pour leur donner la consistance qui fait que je passerai trois heures à me relire et à me relire encore une fois publié, heureusement que la fonction éditer existe et que j'ai les codes d'administration.

Je suis un exemple - non, je suis un exemplaire des hommes de ma génération, de ma classe, de mon quartier - il y a le flot et je surnage.

Ca froisse, ça poisse, je touille.

Subhuman (2)

Il s'appelle Jean-Philippe Kerlagnec mais tout le monde l'appelle Kéké. Kéké est fier de ses origines bretonnes, il est fier d'être fier même. Dans un monde un peu trop cosmopolite à son goût, conserver l'héritage des ancêtres et faire briller son blason au miror ça lui plaît. Kéké va tous les ans au festival de Lorient, même une fois pour déconner il s'était déguisé en bigoudène et avait pris des photos.

Kéké avait commencé par vouloir qu'on l'appelle Jean-Phi, mais ça ne collait pas, c'était trop artificiel, du moins à ses oreilles. Et puis ça lui est venu Kéké dans la bouche d'un de ses bons potes vendeur de GPS. Même si ce bon pote n'est pas un simple vendeur car il est importateur et assembleur de GPS. Le bon pote importe, le bon pote accroît la valeur ajoutée, le bon pote pose des stickers UE sur le derrière des ventouses.

C'est lui l'inventeur du Kéké, pour rire au début comme toujours mais ça continue en déferlement mémétique et tout le monde l'appelle désormais Kéké - car même au bout d'un moment la chaîne mémétique se ferme et c'est un automatisme et plus besoin de dire « mais tout le monde m'appelle Kéké » le Kéké en question se poste dans l'évidence même du devoir de l'appeler Kéké.

Kéké a 42 ans et Kéké fume le cigare, en particulier dans les lieux où c'est interdit de fumer, pas vraiment pour la provoc' mais juste pour se donner un style, car Kéké demande toujours si ça ne dérange pas qu'il fume bon d'accord merci.

Kéké possède sa propre entreprise de gardiennage dans la banlieue de Laval, il a trois hommes et douze chiens sous ses ordres et il fait des roulements. Kéké a dans son bureau qui sent le cigare froid et le mobilier en fer un grand organiseur en tableau avec des petites languettes de couleur à mettre dans des trous pour synchroniser l'emploi du temps de son personnel et mesurer sporadiquement qu'il en a fait du chemin le Kéké et qu'il en a des responsabilités.

Car Kéké ne compte pas en rester là et Kéké a un grand projet avec son bon pote le vendeur de GPS. Kéké a acheté un gros lot de combo mini GPS puces à radio fréquence et Kéké pense pouvoir faire un coup marketing et se faire plein d'argent en vendant sa trouvaille taiwanaise comme bon moyen de localiser les enfants à l'école ou les chats dans le jardin.

Kéké pense à tout ce qu'il faut faire comme réserver les encarts pub dans le Courrier de la Mayenne ou encore faire des annonces trash et choc car partout on a peur des pédophiles arabes et ça marche toujours de jouer sur la peur pour vendre des produits qui se vendront comme des petits pains.

Kéké pense à tout ça et se gorge d'espérance sur sa vie qui évolue même s'il glisse sur une plaque de crottin gelé et terminera son avenir écrasé par la belle grosse moto qu'il vient juste de s'offrir.

Dans le fossé.

Mais non. Arrête tes conneries.

Il avait une cravate rose et lisait un livre gris. Une parka de loin qui pouvait ressembler à n'importe quoi, comme à une veste en velours d'où dépasseraient des poignets de Polonais, voire à un blouson en flacons recyclés de produit-chiottes. Trop attentif aux alentours pour être vraiment là, dans la rame anonyme de ceux qui se regardent en flou.

Il était du genre hyprasocial tu vois, les gens qu'ils touchent, les mots qu'il dit, à peine encastré qu'il te donnait déjà du on, de l'esprit d'entreprise, du rassemblement et du, au fond, nous sommes tous les mêmes et nous ne formons qu'un. Tel était son projet auquel réfléchir, dès que ses entrailles lui tiraillaient l'idée, au petit matin. Pas encore réveillé qu'il tressautait d'envie et de tâches à accomplir. Et tout cela c'était pour ton bien.

Et toujours ce sourire en fente vissé sur la gueule, un rouquin maladif supplémenté au bêta-carotène, un peu de sueur collée sur les temps (parce qu'il venait en vélo), une face pliée de type pas tout à fait laid, mais toujours assurément gentil. D'où les compliments qu'il se devait d'entendre. Ça c'est sûr.

A te ressortir sur commande toute la mélasse d'usage, comme les expériences à faire, et les débouchés à prévoir, et tous ces champs de possibilités pas encore exploités. A t'en donner le tournis d'imaginer qu'il pouvait adhérer à ses discours, sans recracher la sauce d'une programmation trop hâtive.

Car ça lui collait à la peau toutes ces belles formules, tout comme ses restes de dents arrachées au pied de biche.

dimanche 7 juin 2009

Traces

Évidemment elle avait aussi ses problèmes. De loin, j'aurais pu croire que sa vie coulait de source, qu'elle était aussi fixe que régulière et que ce genre de questions, elle ne se les posait pas. Mais non. Elle tremblait par exemple, chaque mois, de l'échéance des impôts à payer (ça grève un budget). Sa mère, aussi, était malade depuis longtemps, une dépression qui la clouait au lit les trois-quarts du jour, qui rendait le futur incertain, qui faisait que chaque coup de téléphone pouvait annoncer une catastrophe, une fin de vie volontaire, des obsèques à préparer et des gens à prévenir. La politique, pareil, ça la passionnait, les Français sont des cons, vraiment, elle le répétait à l'envi, un jour ils votent à gauche, un jour ils votent à droite, impossible de tenir des réformes et de faire avancer les choses – quelquefois elle faisait passer l'air entre ses lèvres pour montrer toute l'étendue d'une telle absurdité.

Mais son véritable souci actuel, le centre majeur et névralgique de son quotidien, c'était la recherche de l'âme soeur. Pas un partenaire rapide, pas de ceux qui baisent et qui claquent la porte, elle voulait quelqu'un qui reste et qui prend les choses en charge. Quelqu'un qui s'occuperait d'elle, quelqu'un qui donnerait un sens à sa vie, quelqu'un pour qui se lever le matin, quelqu'un avec qui faire des enfants.

C'est qu'à 35 ans, elle voyait le temps qui passe, elle disait, les expériences faites et les plus à faire, elle avait profité, pour sûr, elle était partie faire de la plongée aux Maldives, elle n'avait pas hésité à jongler de mec en mec, comme ça, sans conséquence, elle en avait vu du pays et fait le tour du monde avec son cul. Car elle en mesurait les limites aujourd'hui, elle se sentait seule, souvent, elle voyait bien comment l'univers, autour d'elle, avançait, et comment elle restait sur le bas-côté de la route. Elle voyait les enfants grandir lors des dîners entre amis et des week-end en famille, elle voyait les engagements se prendre, elle regardait avec langueur la décoration impeccable de l'appartement que son salaire lui avait permis d'acquérir. Elle n'avait pas peur d'admettre le rythme de l'horloge biologique, elle se disait même victime du syndrome du pavillon de banlieue (ah ah).

C'est que l'obsession grandissait, la quête devenait chasse, le quotidien tout entier se tournait vers la réponse à cette seule question : vais-je finir ma vie seule ? Elle tournait ses yeux comme un caméléon, acceptait les rendez-vous, notait les déceptions, faisait des compte-rendus aux uns et aux autres, devenait de moins en moins légère, de plus en plus pressée.

Et puis il voulu d'elle, ils s'installèrent, se marièrent dans la foulée, se reproduisirent plutôt facilement pour leur âge, partirent en vacances et firent des projets.

Elle oublia l'échéance, se reposa enfin, sortit de la route un soir de verglas.

Double-bind

Et oui, tu te plains, ou la la, de ne pas pouvoir lui faire sa fête à ce chauffeur de bus qui arrive en retard et qui t'a humilié, laissé là dans les traces de pisse d'une virilité foulée aux pieds, tellement qu'on se fout de ta gueule, matin midi et soir, à te donner tes rations quotidiennes de bonheur pour ne pas oublier que, finalement, la survie c'est pas si mal, et qu'on ne va pas se la mettre trop profond la question de l'incongruité d'une pompe à fusil - trop conne, trop vive, et trop prévisible.

Et oui, tu te plains, ou la la, cet homme ne te laisse pas faire ce que tu veux, violence, manipulation et emprise, et ça t'étonne, une fois les papiers signés, la robe blanche et les serments pour toujours, de voir qu'il n'en reste rien d'autre que la valse des compromis empilés en sacs de sable. Tu disais toujours, l'air absent et concerné, qu'un homme, ça devait être plus fort que toi, que c'était là que se jouait l'humidification du fondement, et en tirer des conséquences hypothétiques, de l'autre en tant qu'autre qui t'attire pour tout ce qu'il n'est pas.

Et oui, tu te plains, ou la la, vu que la victime a toujours été un bon placement, ça t'entoure, ça t'embrasse, ça réchauffe, ça demande de tes nouvelles, ça te conseille des issues, ça te donne l'illusion qu'au fond du tas de merde qui fait ta vie, il reste l'ultime gaz d'espoir qui te permettra d'y voir plus clair.

Un jour prochain, à moins que demain tout recommence.