jeudi 26 août 2010

Viaduc

Ça sentait le catéchisme, et la soupe poireaux-pommes-de-terre froide, l'air un peu perdus avec leurs cartes de randonnée et leurs sandales orthopédiques. Comme s'ils se devaient de parler, conjurer le sort d'une atmosphère trop lourde, trop vieille, sentant la charogne et les conversations bon teint. Comme pour oublier le pain mou, les gaz du lendemain, l'haleine à l'ammoniaque, les cheveux secs, blancs, qui s'arrachent par poignées. Ils piapiataient dans tous les sens, faisaient semblant de rire, la main devant la bouche, les yeux grands ouverts, pour de faux, quand l'un des leurs tentait une sortie :

- On s'est mariés pour le meilleur et pour le pire, hein, pas vrai ?
- Oui, et surtout pour le pire.

Assis en rond, ou face à face, le cliquetis des couverts insupportable à entendre seul, ils en rajoutaient donc des louches à mesure que les plats en sauce faisaient leur apparition.

- Oh, et elle a eu ses enfants tard, à 24 ans...

Las depuis leur naissance à apprendre par cœur la position d'une fourchette à poisson, les choses qu'ils ne diront jamais, les nez repoudrés, les serviettes repliées les mains derrière le dos. Toutes leurs récitations honteuses, les doigts dans l'encrier pris sur le fil accroché à la patte d'une mouche. Des cernes tombantes, sur leurs joues, comme tout un corps en fuite, coulant, s'excusant, presque, d'avoir un jour crié trop fort – en pensée.

Au regard traînant de l'une d'elles sur le papillon posé sur la table, j'en déduisais qu'elle l'enviait, lui, de savoir sa mort pour le lendemain.

mercredi 4 août 2010

Domestication

Des fois, au fond du crâne, derrière, ce n'est pas vraiment un rêve mais plutôt une sorte de vision, je prends de l'élan près de la porte, cours quelques mètres, m'appuie sur la chaise devant la fenêtre et m'envole. Évidemment, même s'il m'arrive de regarder les oiseaux par en-dessous et d'essayer d'analyser la mécanique du mouvement, je ne vole pas, au mieux je rebondis quelques secondes et m'écrase bien vite, en bas, pas même le temps certainement d'agiter les jambes. Parfois je passe aussi en revue tous les étages connus, du plus bas au plus haut, et j'imagine la chute, les quelques instants supplémentaires de répit, penser à ce qu'on pense à ce moment-là, si on pense quelque-chose à part qu'on va bien se l'exploser, la gueule.

Tout ce qui dérive, et flotte, crâne mollement dans des échauffourées, il y a des gens aussi, ils existent, je le sais, qui réfléchissent des heures et des jours à la fermeté de leur poignée de main, qui font des exercices pratiques, des séminaires de mise en condition, avec des petits stylos faits pour l'occasion posés sur des chaises, et des papiers à en-tête.

Et c'est là que je referme la fenêtre, pour plus de précaution.