dimanche 20 décembre 2009

Politesse


Ils travaillent le matin sortent le soir dorment la nuit. Et le lendemain ils recommencent. Bouger c'est exister, arrêter c'est mourir. On ne garde pas son chapeau à table, on ne retourne pas le pain, on la fait passer devant, excusez-moi je vous remercie je n'en ferais rien non c'est moi. On ne dit pas de gros mots, ni ne mâche de chewing-gum devant la reine d'Angleterre, on surveille sa posture, on ne coupe pas la parole, on y met les formes, on évite de blesser, du moins intentionnellement.

Ils disent : ça ne te flatte pas quand on t'aborde dans la rue ?
Ils disent : lui avec ses airs je suis maqué j'allume et je ne touche pas ça va bien (hein)
Ils disent : tu peux y aller elles sont tellement bourrées il n'y aura pas viol

On ne parle pas la bouche pleine, ni même pour ne rien dire. Enfin, en théorie, puisqu'ils pourraient en remplacer des champs d'éoliennes avec leurs discours venteux. Des dizaines, des milliers, empilés de petits bras qui tournent, des yeux qui se plissent et des grandes dents blanches qui sortent sous les lèvres. 

Ils disent : la solitude c'est une maladie
Ils disent : on va te sortir de là
Ils disent : il faut faire quelque chose

Ils parlent aussi du froid et se posent des questions. Ils s'y mettent tous ensemble tous ensemble tous ensemble, hé hé. Pour eux qui s'y frotte s'y pique, et on ne peut pas dire qu'elle ne l'avait pas cherché. Pas de mot plus haut que l'autre, ils y mettent parfois les doigts et tentent de ne pas faire d'omelette sans casser d'oeufs. On ne met pas l'âne devant, on apporte un petit quelque chose.

On espère, et on ment.

dimanche 13 décembre 2009

Résilience


Ils rentrent et ils sont en nage. Froid dehors et chaud dedans, les plaies d'un monde moderne et souterrain sur lesquelles un intellectuel de haut rang aurait certainement des choses à dire. Ils sont en nage, elle est plus petite que lui, il a un gros manteau pour enfermer ses mains, façon mystère parce qu'on ne sait pas ce qu'elle touche exactement, mais parce que c'est assez sensible pour que la supériorité tactile se fasse sentir et que le courant passe. Elle y met les mains, elle le tâte, il lui appartient - ils se collent en nage alors que rien n'est vraiment nécessaire ni vraiment confortable, mais c'est ainsi que les gens font pour s'assurer de soi. Et rassurer les autres aussi, en public, que rien n'est plus baisable qu'un bien baisé. Les plâtres essuyés et séchés, à vous d'y mettre les doigts : les rideaux sont repassés.
Elle le regarde par en-dessous, rapport à sa taille, mais rapport aussi à tous ces yeux qui en disent long avec les sous-entendus des draps froissés du plein après-midi qui rendent la clé au type de la réception avec les joues rouges et le regard brillant, façon flétan. Ils soufflent tous les deux et de la fumée en sort, et l'amusement des adultes si sereins quant à leur enfance sublimée qui plissent un peu les paupières et cherchent enfin leurs gants. La complicité, là, comme un bras dessus bras dessous, oh bien sûr personne n'y pense, il n'y a pas d'intention, on fait ça sans conscience à la va comme je te pousse.

Et ils les poussent aussi, les gens. Les ceux qui les regardent, au moins dans leur tête, les ceux qui bavent d'envie, l'aigreur en porte-jaretelle, les ceux sans rien à faire et qui ne perdront rien que les quelques minutes de leurs portes qui peinent à se fermer. Les gens la foule l'humain informe le groupe. Les têtes qui dépassent. La vie qui est si courte et dont il faut savoir profiter. Ils rient.

Il se serrent donc, elle les mains sur ses flancs, lui les bras autour d'elle, elle la joue dans son cou, lui le menton sur son crâne. Puis ses sourcils se froncent, il grogne, quelque chose le gêne. Elle s'accroupira pour retirer le journal froissé qui faisait crisser la semelle du dessous de ses chaussures.