jeudi 12 mars 2009

Slogan

Sur le bureau, un ballon de rugby miniature. Certainement un truc mou qui se mâchonne, un truc qu'il triture pour diminuer son stress, ou en avoir l'impression. Parce qu'il y en a des choses, qui le stressent.

Déjà, il s'appelle Frédéric Jean. Ce n'est pas un prénom composé, c'est son nom et son prénom, un double prénom qui fait que toute sa vie il a dû préciser qui était qui, lequel était lequel, le prénom ou le nom, et quelquefois les gens oublient et il lui faut le leur rappeler. Alors il a une technique, il écrit JEAN sur ses mails, il écrit JEAN sur sa carte de visite et il la tend, en majuscules, pour bien différencier. Diminution des risques de confusion, même si évidemment, cela ne les annule pas. Toute sa vie il devra le préciser tellement qu'à la fin il s'y résignera et précisera avant qu'on le lui demande. Question d'anticipation, et d'habitude aussi.

Non, il ne travaille pas dans une usine. Tu travailles dans une usine, tu es con, mais tu es trop con pour t'en apercevoir, tu subis. Lui, il travaille dans un bureau, il est même responsable, il est directeur d'agence, l'homme que les autres respectent, l'homme qui arrive à l'heure qu'il veut vu qu'il a forcément d'autres choses à faire et que si personne ne le sait, tout le monde s'en doute. Décrocher-ton-téléphone-raccrocher-ton-téléphone-regarder-tes-mails- répondre-à-tes-mails-parler-à-des-gens-faire-rentrer-des-gens-dans-ton- bureau ; et serrer leurs mains. (Tu peux aussi triturer ton petit ballon de rugby mou)

Des fois, il s'énerve : Frédéric JEAN ne se laisse pas faire. Il n'aime pas qu'on le prenne pour un con, il prend ses grands airs, il coupe la parole, il donne des leçons, il souffle et roule ses yeux tout en se demandant à voix haute comment on peut être aussi désinvolte sur des questions aussi importantes. Il prêche et il parle sèchement, il lâche quelquefois des « c'est grave ».

Tout le monde en a peur et tout le monde le respecte, ses épaules sont larges, il pisse certainement très loin. Frédéric JEAN a une parka grise et une cravate orange sous sa veste jacquard. Frédéric JEAN s'épuise, Frédéric JEAN s'installe, Frédéric JEAN c'est celui à qui on ne la fait pas et Frédéric JEAN sait remettre les choses à leur place. Frédéric JEAN frotte ses mains même s'il ne fait pas froid, c'est sa manière à lui de montrer sa satisfaction.

Frédéric JEAN n'est pas inquiet, il sait mener sa barque. Frédéric JEAN va comme tous les midis au bistrot du coin s'enfiler le plat du jour et revenir sur sa chaise ergonomique en tapisserie de voiture, faire rouler les roulettes et triturer son petit ballon de rugby mou.

Frédéric JEAN c'est le mec qui fait gaffe, sauf quand le transport de fonds recule.

(Bye, bye)