samedi 7 mars 2009

La vache

Dans la nuit, des cris terrifiants parviennent à nos oreilles ; enfin aux miennes. Une colline et un hangar allumé. Des vaches, ça beugle.

Il est assis sur un transat fait par des artisans du monde (dégoté au marché pour rien), il a mangé du porc bio qu'il a cuit au barbecue (parce que c'est simple et sain), saucé son assiette avec du pain bio (sa femme l'a pétri toute l'après-midi), bu du vin bio sans soufre (j'ai mal au crâne).

Il profite des vacances, écarte les jambes mais ne fume pas, parce que sa femme est enceinte ou que ses enfants sont trop petits. Un peu plus tard dans la soirée, peut-être.

Il pourrait s'appeler Marc, Jean-Luc, Laurent, Thierry, Stéphane - c'est un homme de son temps. Il pourrait être patron d'une PME de province, cadre dans une multinationale à Paris, professeur de lettres et responsable d'un atelier théâtre en banlieue, avoir une voiture de fonction, prendre le métro avec une carte orange. Il pourrait avoir une famille, trois ou quatre enfants, une épouse qui ne travaille pas et qui sourit - elle était institutrice et elle milite pour l'école à domicile. Il pourrait avoir beaucoup d'amis, des dîners en ville ou à la campagne, comme ce soir, parce qu'on est intimes et que c'est les vacances. Il pourrait avoir des responsabilités, se tâter à la politique à un niveau local : chasse pêche et traditions, MPF, être élu des parents d'élèves, siéger au conseil d'administration du lycée, lutter dans une association contre la précarité, faucher des OGM, distribuer de la soupe populaire.

En tout cas, il se pose les bonnes questions aux bons moments. Ces vaches qui beuglent, il doit y avoir une raison.

C'est parce qu'ils séparent les femelles des petits, dit la femme, car c'est la voisine qui lui a dit, c'est une ancienne agricultrice. Et tout l'été ce sera la même chose, parce que sinon elles font moins de lait, ou trop, enfin quelque chose qui n'est pas bon pour le rendement de l'homme qui élève les vaches.

Il se lève et regarde vers le hangar, ferme certainement un peu les yeux pour voir plus loin, mais ne met pas sa main sur son front car il fait nuit. Respire et lève ses épaules. Alors il fait part de toutes les responsabilités qu'il a, que ça va se savoir dans le village, que personne n'achètera plus sa viande ou son lait à cet homme qui élève ses vaches qui beuglent dans ce hangar. On pourrait même penser à s'organiser. Faire des autocollants. Distribuer des tracs. Il dit :

Je vais lui pourrir la vie à ce type.