vendredi 13 mars 2009

Aiguillage

Un train de mi-journée ça se reconnaît à l’odeur du sandwich au jambon. Un train de mi-journée, ça n’est pas comme un train du matin, un train de travailleurs, un train de gens qui se lèvent tôt et qui s’en vont renfrognés se presser sur un quai en attendant qu’on les débarque à la fourche. Ce n’est pas non plus comme un train de fin d’après-midi ou de début de soirée où ces mêmes travailleurs se retrouvent toujours en grappe à desserrer leurs cravates ou distraitement enlever leurs chaussures sous les banquettes et à se frotter les pieds histoire de nourrir un peu plus les acariens obèses des moquettes agréées SNCF.

On appelle ça les migrations pendulaires.

Non, le train de mi-journée, c’est le train du sandwich au jambon. Le train de la liberté : les gens qui ne travaillent pas, ou pas aujourd’hui ; les enfants en vacances qu’on emmène au musée, au cirque, au zoo ; les couples qui voyagent et se partagent les offrandes en papier aluminium ; les désaxés en mal de pays ; les vieux ; les places vides...

Un train de mi-journée, ça sentira toujours le sandwich au jambon, à croire que l’humain n’a plus d’imagination quand il se doit de manger : ça lui plaît, il s’y tient, il en redemande et l’exhale par tous les pores de sa peau (la viande de lapin sent aussi la marjolaine). C’est peut-être aussi un effet de seuil, la démocratie de la nutrition, la dictature de la majorité conservatrice sur les minorités innovantes, l’assimilation, l’intégration, le brouhaha et l’odeur homogène.

Il en mange un, de sandwich au jambon, version crudités et mayonnaise. L’écoute de ses prémolaires ramollissant un pain déjà trop humide (action des vitrines réfrigérantes dans les cafés de gare), l’écoute de sa salive dissolvant le jambon et la salade cuite par la sauce, l’attention fixée sur la formation du bol alimentaire, l’attente du coup de gorge qui emmène tout le beau monde, tranquillement, se faire digérer ; ça ne semble pas lui convenir. Alors il engage la conversation avec la personne la plus proche de lui, question de commodité. Question de commodité et manque de bol, la personne la plus proche de lui n’avait pas du tout envie qu’on lui engage une conversation.

Quand il me dit être en instance de séparation avec une infirmière mancelle, je me demande si je serai capable de reconnaître la julienne de légumes dans son intestin grêle.

Quand il me dit qu’il ne faut jamais rester sur un échec, je me demande s’il continuera de parler quand sa carotide bouillonnera au fond de sa gorge et, accessoirement, si le bout de salade qu’il ne semble visiblement pas vouloir avaler finira par sortir une fois sa trachée sectionnée.

Quand il me dit que s’il avait une copine mignonne, il ne la laisserait pas voyager seule, je me demande si le contenu de son estomac est désormais assez fluide pour ne pas boucher des chiottes aux conduits vétustes.

Quand il me demande si je n’ai pas peur et si je sais me défendre, je me dis que sa langue ne gardera pas si longtemps que ça son blanchiment de mayonnaise.

Il y a bien sûr, aussi, l’auréole de cervelle sur la céramique de la salle de bains. C’est un truc con, mais j’ai toujours eu tendance à sous-estimer la dureté d’un bord de baignoire.