lundi 23 mars 2009

Minerve

Elle était assise devant moi, sur le strapontin. Les yeux dans le vide, éreintée. Je la dévisageais depuis plusieurs minutes maintenant et elle ne s'en apercevait pas. Sa voisine par exemple, avec sa petite tête de raton, jouait le jeu du regard soutenu quelques secondes, puis départ dans un autre sens, pour revenir voir si je la regardais toujours. Elle ne bougeait pas, à peine pouvais-je distinguer les mouvement de sa respiration, elle tenait un sac en plastique bleu, son écharpe faisait des tours autour de son cou, des gros yeux bovins à la chair élastique – elle était blonde, ou plutôt châtain clair, de ce genre de teintes un peu verdâtres dont on peine à confirmer la blondeur, mais qu'on dit telle, comme pour faire plaisir. Elle n'était pas maquillée, pas vraiment coiffée, une sorte de longueur de cheveux disons normale pour une personne de son sexe, ni trop long ni trop court ; mi-long selon la terminologie usitée, mi-froid, mi-chaud, tiède, pisseux. Elle n'était pas vraiment habillée non plus, tout entière absorbée par l'utilité des bouts d'étoffe fabriqués afin de masquer son corps sans visage.

Opérateur, opérateur, avez-vous vu le chien ?

Elle avait un sac à main marron, enfin, de ce genre de pochette molle remplie certainement de papiers officiels tendant à prouver de son identité en cas d'accident mortel rendant son identification difficile par les services de médecine légale. Peut-être aussi quelques photos, de neveux, de séminaires de travail à l'étranger, des instants figés sur papier à souvenir, des pages racornies, peut-être aussi un livre, un téléphone portable, un carnet rempli de numéros de téléphone à composer en cas d'urgence, une boîte de cachets d'aspirine, un tube de rouge à lèvres beige.

A un moment, elle a bombé sa bouche, de ce genre de souffle qui marquent l'ennui, un pétaradage de cheval silencieux. Il en aurait fallu de peu pour qu'elle exprime la totalité d'un emmerdage, d'une attente trop longue – mais elle n'a jamais regardé l'heure qu'il était.

Le métro a pilé, elle s'est cassé la gueule – le chauffeur s'est excusé dans les hauts-parleurs.