lundi 23 novembre 2009

Escalade


Elle grappille deux trois détails au passage. L'enfance difficile, l'enfance miséreuse, l'enfance en parcours du combattant tellement dure et tellement qu'on se demande comment on a réussi à s'en sortir - bien du courage. Elle grappille et ça lui reste dans un coin de cerveau, comme un chewing-gum sec sur un mur, grisonnant, ça commence à faire son travail en sous-sol, ça se développe de soi-même, les petites pattes s'agitent et elle se dirait alors qu'elle la prendrait sous son aile, l'ex petite accidentée de la vie, que c'est ça qui lui donnerait tant de charme. Comme les insectes qu'on met sous verre pour se rappeler toujours et encore qu'il y a des contrées si retorses mais aussi tellement belles de grosses bêtes irisées qui bourdonnent. D'ailleurs il n'est pas impossible qu'entre deux mélancolies causées par l'augmentation du coût de la vie ou par la domesticité du quotidien qui nous tue, elle se dise qu'il est temps de se jeter à l'eau : d'aller voir les pays aux gros insectes et, si possible, en ramener des photos. 

Il dit d'un air tout neuf et tendu que c'est de sa faute, à elle, finalement, qu'elle n'avait pas besoin de chercher du travail, qu'il en avait assez pour en faire vivre deux, qu'elle aurait dû attendre et capitaliser du temps libre, lui mitonner des petits-plats, lui laisser desserrer sa cravate et enlever ses chaussures et parler des soucis réels, des soucis à lui. Il dit d'un air tout neuf et tendu qu'au fond c'est elle qui a amené lestress dans lecouple, que si elle s'était tenue tranquille et peinarde sans demander trop rien, l'appartement payé pour l'autre et les trois fellations hebdomadaires, on n'en serait pas là. 

Le dos au mur, dans le couloir des toilettes, il regarde les gens qui dansent et qui parlent, les trentenaires en génération de breloques, de sautes d'humeur et de gravité en étendard. La génération très au fait des problèmes sociétaux et des apories du vivre ensemble. La génération qui s'éclate et les soucis entre parenthèses, pour ce soir ça pour sûr. C'est que le gros événement qui s'annonce (elle descend ses deux pouces en V vers son ventre, si jamais son concept était par trop hermétique) va leur remettre les idées en place. Chambouler la routine, essayer de s'y préparer et toujours être pris en faux, parce que c'est ça qu'est beau.

Dans le square Bousicaut, madame et ses fourrures devisent d'un air concerné le petit miséreux. Dans le square Bousicaut, madame et son pauvre devisent de l'avenir du monde. 

Et c'est de la banalité qu'on crève.