Il dit que les poules ont toujours besoin d'un coq, que c'est comme ça, qu'elles sont mieux avec que sans, que ça les rassure. Il le dit avec ses dents qui n'en sont plus, l'espèce de chuintement caractéristique de prothèse et la lèvre inférieure en dedans. C'est comme si je me forçais, en fait, à ressentir un quelconque sentiment positif en sa présence, j'ai mal aux joues à force de me crisper à sourire. La cuisine sent la potée au chou froide, la toile cirée colle, des mouches finissent de crever dans un serpentin de glu, accroché au plafond. Sa femme a l'air foncièrement débile, ils mangent dans des assiettes en plastique et lisent des petits fascicules de Nous Deux. Les restes de nourriture qui surnagent me dégoûtent, il a de grosses mains et des doigts larges et aplatis, le dessous des ongles noirs.
Tout cela commence inéluctablement à sentir le cadavre, et l'humanisme est une insulte, m'a-t-on dit un jour, et j'ai trouvé la formule heureuse. En réalité, sa vie m'indiffère le plus absolument du monde, sa figure de bibliothèque illettrée me creuse, et j'essuierais bien mes chaussures sur son bon sens populaire, s'il ne m'avait pas raconté son histoire, peut-être inventée, d'un petit geste de résistance.
Je pourrais lui préparer un gâteau à base de têtes de poussins qu'il ne s'en rendrait pas compte. Il dirait qu'il trouve ça bon, qu'il a congelé le reste, et sa femme agiterait sa peau du cou de dindon.