mardi 14 avril 2009

Sous-entendu

Il ne faut pas critiquer les religions, dit-elle. Non il ne faut pas, il ne faut pas se moquer des gens, il ne faut pas leur faire de mal, il ne faut pas les prendre de haut, et il faut savoir vérifier ses sources. Ses yeux sortent de ses orbites, son front devient chaud, elle s'éponge, elle s'évente. Elle raconte qu'on lui a ôté la thyroïde mais qu'elle ne le voulait pas, elle se dit déréglée, elle a chaud, elle a froid. Elle passe du coq à l'âne, un peu comme dans sa conversation qui s'offusque à mesure que son cou se tend et craquelle de son manque de vernis. Elle explique d'ailleurs que les omoplates doivent se dire bonjour si l'on veut se tenir droit ; elle roule ses yeux, ses yeux sortent, ses yeux exorbités de femme malade, ses cheveux en crin lisse, lissés, huileux. Des tonnes de beurre à s'enfourner chaque matin, une discipline de plus comme d'autres se vident, consciencieusement, pour que la journée passe plus vite, faite de petits rituels, à répéter l'un après l'autre, sans se demander pourquoi.

Non, il ne faut pas critiquer les religions dit-elle, et l'autre opine de la tête, les yeux dix fois plus révulsés, le visage maigre et le nez remontant. C'est que la spiritualité, sans ça, on n'est pas grand chose, ajoute-t-elle et précision faite elle vient de passer six mois en Inde, elle raconte, c'est son tour, elle fumait du matin au soir, oui les Indiens s'y mettent, c'est dommage, avant ils gardaient ça pour les touristes, et cette ambiance, si animale, sauvage, l'énergie, partout, ça te ferait presque trébucher tellement c'est fort, et les gens, en lien direct avec le ciel mais aussi très terre à terre, le geste joint à la parole, de haut en bas, elle lève le menton et ses yeux pourraient tomber à la renverse.

Georges, Georges, dit la malade, oui Georges est mon mari, mais il a honte de moi - oh elle dit ça c'est pour rire, rassurez-vous, c'est juste qu'ils sortent souvent séparés et que Georges a pour habitude de taire son existence, Georges, hein Georges, oui, ne mens pas, je le sais. Et Georges le jovial à la peau violacée qui rit de la gorge, regardant l'autre du coin des yeux dans l'espoir qu'elle ne trahisse pas ce qu'elle sait. Il y en aurait tant à recoudre, sur le chemin du retour, entre deux pauses pipi sur l'autoroute, alors histoire de détourner l'attention, se contenter d'embrayer sur le massage ayurvédique aux huiles chaudes ou encore l'ayahuasca, oulala, c'est que j'en ai pris pas mal quand j'étais au Brésil.

Les gens de trente ans ne parlent de rien, ils parlent de leur vie, et le lapin qu'on dépèce, on l'entend déjà moins.