mardi 21 avril 2009

Quadrige

On les appelle les amis du vendredi. On les appelle ainsi parce que ce sont des amis qui se retrouvent le vendredi, qui sortent le vendredi, qui profitent du vendredi comme premier jour du week-end, comme veille d'un jour où ils ne travaillent pas pour se retrouver.

Les amis du vendredi peuvent se retrouver chez l'un des amis, auquel cas il faut faire les courses du vendredi, on peut faire ces courses entre amis du vendredi, ce qui revient à considérer l'épisode magasin, grande surface, monoprix, supérette comme un prélude à la soirée entre amis du vendredi.

Auquel cas, on se partage les tâches : Clémence va au rayon boissons et pense à acheter du coca avec sucre car le coca sans sucre est dégueulasse avec le whisky ; Julien, ou Juju, s'occupe des biscuits apéritifs et n'oublie pas de ne pas prendre de guacamole car Clémence est allergique à l'avocat et a tout gerbé, avec les petits bouts de tortilla chips pas bien mâchées lors de précédentes retrouvailles du vendredi ; Maxence - que tout le monde appelle Teddy - est celui qui tient les comptes, il fait les divisions du ticket de caisse et demande à chacun de participer à hauteur de ses moyens, mais ce serait tout de même mieux si chacun donnait la même chose car comme ça on s'y retrouve ; Isabelle vient de se faire méchamment larguer la semaine dernière par un Italien rencontré le mois dernier lors du cours de salsa - je crois qu'il avait peur de s'engager - et zone un peu dans les allées même si sa mission c'est les bonbons, bonbecs, chamallows parce que le sucre s'avale sans faim - mais donne soif - et parce que ce n'est pas parce qu'on a 30 ans et des enfants et des mariages ou de sales histoires compliquées merde je ne sors qu'avec des cons (Isabelle) qu'on va faire nos vieux et s'acheter des desserts comme par exemple : des tartes.

Avant de se retrouver à la caisse du magasin, grande surface, monoprix, supérette, les amis du vendredi peuvent se retrouver par hasard entre les rayons, rire, se pousser parce qu'on n'a pas non plus toute la soirée, et dire des trucs drôles tels que : « On prend des préservatifs ? », merde pas devant Isa vous êtes vraiment trop cons les mecs. Quand les amis du vendredi se retrouvent chez l'un des amis, ils choisissent en général celui qui n'a pas d'enfant ou de mari, ou chez celui qui peut faire garder ses enfants ou envoyer sa femme chez sa mère, car c'est bien de se retrouver entre nous, car les amis du vendredi sont souvent des amis de longue date, des amis de lycée (Clémence et Teddy eux, se connaissent même depuis le collège) et Isa, Clémence l'a rencontrée à la fac, à Censier - putain qu'est-ce qu'on a pu faire comme conneries.

Les amis du vendredi peuvent se retrouver au restaurant. Auquel cas on choisit un restaurant central, c'est-à-dire pas trop éloigné des domiciles de chacun. Mathilde est arrivée la première, car c'est elle qui a réservé la table dans un restaurant éthiopien qu'elle adore et parce qu'elle connaît le chef, en plus. Il ne lui a pas fallu attendre longtemps pour voir sa copine Léa débarquer (en vrai, elle se nomme Léonor), elle souffle un peu car la nounou a eu 1/4 d'heure de retard mais bon, l'essentiel, c'est que tu sois là. Pour Jérôme, qui est grand, et beau, et porte une chemisette avec une cravate, c'est dix minutes plus tard, il a son téléphone portable contre son oreille et met ses lunettes de soleil sur sa tête ; il dit : « Ne vous en faites pas pour Alex, il a dit qu'il nous rejoindrait après le boulot ».

Les amis du vendredi ne commandent pas d'apéritif mais un pichet de vin qu'ils renouvelleront une fois au cours du repas - la vache, c'est un peu épicé quand même. Alex arrivera et les amis du vendredi se placeront fille contre fille (sur la banquette) et garçon contre garçon (sur les chaises). Ils font tchin avec leurs verres et parlent tout haut, les filles rient aux éclats et deux fois Léa se lève pour aller téléphoner et Mathilde explique que sa dernière a eu une bronchiolite et qu'ils ont du appeler SOS médecins à 1h du matin. Alex fait remarquer qu'il y a trois ans, si quelqu'un lui avait dit que Léa deviendrait mère de famille, il aurait bien rigolé. Jérôme dit que les temps changent et que les gens changent et que tous ils vieillissent et qu'ils prennent des responsabilités, mais en même temps c'est normal, et c'est même un peu bien ; Mathilde dit que ça lui fait quand même un peu peur, et au moment de l'addition, tous se mettent à discuter avec le chef qui vient à leur table et qui dit que s'il avait eu le droit de vote, il aurait voté Bayrou : aujourd'hui ce n'est plus possible et c'est bien ce qu'il a fait ce type à vouloir rassembler au lieu de diviser.

Je pense qu'ils ont tous plus ou moins couché ensemble, même si l'idée d'une partouze ne leur viendrait jamais à l'idée - c'est un peu dégueulasse -, qu'ils font tourner la sauce sans s'en rendre vraiment compte et même souvent ils ne s'en souviennent plus trop. Je pense qu'ils se racontent leurs vies et que tout le monde s'en fout, mais que sans cela ils se sentiraient terriblement seuls.