jeudi 24 septembre 2009

Marché

Un instant, j'ai eu les veines extrêmement bleues, comme prêtes à éclater, sous tout le corps en affleurement : et les paumes, et les poignets, les mains, dans le creux, et les cuisses et les pieds. La peau aussi s'affaiblissant, des plissures, de la sécheresse, un épiderme de vieille qui coule et se décolle de l'armature osseuse, les muscles qui se fluidifient, en-dessous, la graisse qui se déverse, un torrent de calomnie qui enfle et semble ne jamais vouloir cesser.

Jamais je n'ai compris ni ne comprendrai ce qui vous tient à cœur : votre honneur, votre réputation, les choses qu'on dit sur vous, vos salissures morales, vos blessures psychologiques. Autour du cœur, moi, j'ai un petit cimetière : entretenu, vert, humide, des tombes en cascade, quelques moisissures prenant à la pierre son brillant et lui collant sa grisaille. Vous y marchez, piétinez, pressez-vous à la queue leu leu, car il n'y en aura pas pour tout le monde. Le spectacle est une chose tellement rare il vous faut en prendre plein les yeux à défaut d'archivage, dans des classeurs en plomb. Vous faites des petites cuvettes sous vos pieds, ça poisse, ça s'éponge, ça mouille des joues, ça bave – l'haleine métallique des matins trop tôt. Humus, odeur de terre, de vase, des glouglous de pintades à en dresser des pièces montées, tellement fières sur leurs ergots de jade ; cette pierre lisse, litote de votre pourriture.

Tour à tour exultants, maussades, vindicatifs ou revanchards, vous vous donnez l'impression d'avancer : et voilà voyez, ça se donne des objectifs, dresse des listes, coche des résultats. On y met tellement du sien aussi. Oui, qu'est-ce que ça travaille et s'efforce au point d'en faire craquer les articulations. Qu'est-ce que ça turbine ! Et tout le monde de bien s'écarter, de se tirailler les chairs jusqu'à ce que ça rompe. Des fissures, des cicatrices, des craquelures, des plaies rouges et roses et blanches, avec un peu de jaune, clair et croûteux. Encore une excuse pour se gratter la panse, aigres en vous cannibalisant l'estomac.

Les genoux serrés, les mains croisées, l'air concerné. Je vous hais.