A Raymond Federman
Il fait donc désormais partie des écrivains morts. Un écrivain mort, ça vend toujours plus qu'un écrivain vivant, ça fait plein de remous, ça émeut le chaland, ça fait gonfler des poitrines, soupirer, susurrer, ah la la. Ça fait toujours mieux d'être mort, ça donne de la légitimité, ça va peut-être se rafler des prix posthumes, s'organiser des hommages, s'envoyer des invitations, carré VIP et air consterné.
En musique, j'ai voulu mettre la Suite hébraïque de Bloch, puis mes yeux se sont rabattus sur la Symphonie n°3 de Gorécki – tellement clichés finalement, tellement au-delà de ses écrits, de sa voix raillante et riante – de ces rares auteurs qui vont tellement bien une fois entendus, qui ne collent pas à leurs écrits en pollution sonore comme d'autres, trop présents pour être crédibles. Il y a eu ensuite Requiem for my friend, écrit par Preisner pour Kieślowski, mais il y a quelque chose de ridicule – non, Raymond Federman n'était pas un friend –, et puis les grandes envolées chrétiennes de Preisner, comme de Kieślowski, ce soir, me fatiguent.
Je suis athée, je l'ai toujours été, même lors de mes plus grands délires de reconversion juive, à l'adolescence, il s'agissait toujours là de meilleures histoires que celles racontées au catéchisme. Puis, finalement, rien de mieux que la mythologie grecque. La mort n'a donc jamais eu aucun sens, provoquant cette colère rentrée, ces envies silencieuses de tout envoyer valdinguer, d'hurler pour que ça ne passe pas, pour réveiller, pour vous réveiller sur l'absurdité de cette chose que vous acceptez comme un dû, parfois comme une délivrance. De ces colères qui vous font voir comme folle, ça passera, elle comprendra bien un de ces quatre qu'on ne peut rien y faire, car c'est la vie. Non, non, ça ne passe pas, non ce n'est pas la vie, non, ma vie est immortelle, délibérée, totale – on pourrait se flinguer d'ailleurs si on le désirerait. Ça serait ça la vie : une nature immortelle, et la possibilité du suicide, parce que la conscience est parfois celle d'un trop plein, et je suppose qu'après 56800 ou 12630 ans, au bout du compte, on pourrait penser qu'il est temps pour la relève.
J'ai donc échoué (ah ah) sur The Sea II, de Ketil Bjørnstad, David Darling, Jon Christensen et Terje Rypdal. C'est assez jazz pour lui, c'est assez mélancolique pour moi.
Je crois que je ne mesurerai jamais mon bonheur de l'avoir lu et connu, de son vivant.