jeudi 26 août 2010

Viaduc

Ça sentait le catéchisme, et la soupe poireaux-pommes-de-terre froide, l'air un peu perdus avec leurs cartes de randonnée et leurs sandales orthopédiques. Comme s'ils se devaient de parler, conjurer le sort d'une atmosphère trop lourde, trop vieille, sentant la charogne et les conversations bon teint. Comme pour oublier le pain mou, les gaz du lendemain, l'haleine à l'ammoniaque, les cheveux secs, blancs, qui s'arrachent par poignées. Ils piapiataient dans tous les sens, faisaient semblant de rire, la main devant la bouche, les yeux grands ouverts, pour de faux, quand l'un des leurs tentait une sortie :

- On s'est mariés pour le meilleur et pour le pire, hein, pas vrai ?
- Oui, et surtout pour le pire.

Assis en rond, ou face à face, le cliquetis des couverts insupportable à entendre seul, ils en rajoutaient donc des louches à mesure que les plats en sauce faisaient leur apparition.

- Oh, et elle a eu ses enfants tard, à 24 ans...

Las depuis leur naissance à apprendre par cœur la position d'une fourchette à poisson, les choses qu'ils ne diront jamais, les nez repoudrés, les serviettes repliées les mains derrière le dos. Toutes leurs récitations honteuses, les doigts dans l'encrier pris sur le fil accroché à la patte d'une mouche. Des cernes tombantes, sur leurs joues, comme tout un corps en fuite, coulant, s'excusant, presque, d'avoir un jour crié trop fort – en pensée.

Au regard traînant de l'une d'elles sur le papillon posé sur la table, j'en déduisais qu'elle l'enviait, lui, de savoir sa mort pour le lendemain.