vendredi 28 août 2009

Presse-papiers

Elle avait 35 ans cette année. Elle allait « passer le cap » en envoyant des cartes d'invitation virtuelles pour ce qui devait être le « nouveau départ » de sa vie. A 35 ans, non on n'est pas vieux, on commence juste à le devenir, riait-elle jaune, et blanc aussi de ces quelques mèches qui la faisait enrager. A 35 ans, tout est encore possible, mais tout devient urgent – en ouvrant grand les paupières elle insistait des yeux pour assurer le passage du message. Mais l'essentiel, c'est de savoir où l'on va, non, feintait-elle de corriger, ce que l'on veut, marquant là l'impulsion, nouvelle, de faire de ses désirs des réalités.

« Je ne veux plus subir, tu vois, maintenant je dois agir, et je dois mettre de l'ordre dans ma vie. »

L'ordre de sa vie avait commencé à se dérégler quelques années plus tôt, quand en rentrant avant l'heure dite, elle avait croisé son mari sur le perron du domicile conjugal, lui qui raccompagnait une fille, de loin jeune, en lui roulant manifestement une pelle et en s'amusant, enfin je crois, d'un reste de sperme aux commissures des lèvres. Elle avait attendu qu'il referme la porte, pliée derrière le pare-soleil (pour passer inaperçue), puis avait déboulé en furie, et hurlant, et pleurant, qu'ils étaient au-dessus de ça, que c'était tellement cliché, que pourquoi eux, que pourquoi nous, c'est qu'on mérite mieux et tu as tout gâché car tu n'es qu'un gamin égocentrique doublé d'un sacré gros enculé.

« Ce que tu comprends à 35 ans, c'est que tu peux te faire larguer pour plus jeune que toi. »

Alors, une fois un divorce rapide et prononcé sans enfant (« question de timing »), elle se rapprocha de son patron, un éditeur renommé mais toujours en nage et toujours vêtu de chemisettes qu'importe la saison. La soixantaine bedonnante, pas trop de risques ni de cheveux dans la manœuvre. Une femme alibi, et des enfants partis : « la bonne planque », s'amusait-elle, le regard embrumé par la certitude de devoir « passer à autre chose » - car, ça s'était fait assez vite, il y avait aujourd'hui « des sentiments très forts en jeu ».

Ce soir-là, elle allait donc faire les choses en grand. Il suffisait d'un bar à tapas qui ferme tard, de la musique, de la tequila et des convives bien choisis - lui, en célibataire puis quelques collègues dans la confidence et devenus amis -, pour que « vogue la galère ».

Et le lendemain, tout serait fini, il devrait prendre ses responsabilités : car elle pouvait partir, et de lui et de sa très prestigieuse maison d'édition. Oui, de toutes façons, d'autres encore plus prestigieuses lui avaient déjà fait de l'œil. Alors.

Mais il n'y eut pas de lendemain, juste une semaine d'après. Un cancer récemment diagnostiqué, il lui annonça qu'il plaquait tout : il quittait sa femme et s'installait au soleil avec sa petite-amie. Elle avait 22 ans, et travaillait à l'accueil.