lundi 10 mai 2010

Banquise

Rappelle-toi, disait-elle, que lorsque une personne te fait connaître un livre ou une musique que tu aimeras à la folie, cela n'aura rien à voir avec elle. Ne te laisse pas contaminer, disait-elle, ne laisse pas polluer tes souvenirs de mains écartelées dans le vide, la tête posée presque à l'envers sur le matelas, par des émotions annexes. En trop. Ne te laisse pas identifier la figure d'un passeur avec celle de la mélodie se déroulant à l'intérieur de ton crâne, grattant l'os par en-dessous, rebondissant sur la chair de ta cervelle, en gouttes électriques irisant tous tes muscles. Cela n'a rien à voir, disait-elle, et des générations et des générations de naïfs ont été prises au piège, flouées par des connards en kit complet qui avaient les bonnes références, les mains roses et les bermudas retroussés. Il n'y a rien dans ce qu'ils te donnent qui ne leur appartienne, disait-elle, ils ont eu simplement la bonne idée d'être là au bon endroit au bon moment, et ce n'est pas un luxe, il n'y a pas de médaille à accrocher sur leur peau (même si cela pourrait les faire saigner). Efface tes yeux, nettoie tes oreilles, disait-elle, retrouve les reliques de leur absence, creuse, racle avec tes ongles, fais place nette. Sois seul.